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Le grand tour
du mont Blanc

Trois pays, trois vallées aux caractères bien trempés et distincts... ce raid à skis autour du mont blanc exploite les offres de mobilité douce de la région. Bilan carbone minimal pour un bilan ludique maximal. Suivez le guide ! 

En bref


Textes : François Carrel pour Alpes magazine / Photos : Nacho Grez pour Alpes magazine.

Cartes

Top 25 IGN n° 3630 OT - chamonix-Massif du Mont-blanc
Alpes sans frontières IGN n° 17 – Grandes Jorasses-Val ferret
 - E Gran san bernardo

3 jours

Refuge Bonnati (Italie) et Auberge des Glaciers (Suisse).

 Rando Zéro Carbone !

. Remontées : forfait journée « Mont-Blanc Unlimited »,
valable pour l’aiguille du Midi et le Skyway (62 €).
. Bus La Palud-Val Ferret : navettes régulières.
. Trains Saint-Bernard Express (Orsières-Martigny) et Mont Blanc Express (MartignyChamonix). 

L'itinéraire

Au jour le jour

Tour du Mont Blanc à ski de rando - Jour 1 : Chamoix - Refuge Bonatti

Jour 1 : Chamonix – Refuge Bonatti 

Montée en téléphérique à l’aiguille du Midi (3 842 m) et descente à skis du haut du glacier du Géant jusqu’au pied du Grand Capucin (dénivelé négatif : 600 m).
Montée en peaux de phoque au col oriental de Toule (3 411 m, dénivelé positif : 200 m environ). Descente à skis du glacier de Toule jusqu’à la gare du Mont-Fréty (dénivelé négatif : 1 240 m) et, si l’enneigement le permet, jusqu’à La Palud (875 m supplémentaires). Par enneigement faible, descente en téléphérique Skyway à La Palud.
Remontée en bus jusqu’à Planpincieux, puis en peaux de phoque jusqu’au refuge Bonatti (2 025 m, dénivelé positif : 600m). 

Tour du Mont Blanc à ski de rando - Jour 2 : Refuge Bonatti – La Fouly

Jour 2 : Refuge Bonatti – La Fouly 

Courte montée en peaux de phoque au-dessus du refuge pour traverser vers l’est le vallon et le torrent du col de Malatra (dénivelé positif 150 m environ), puis redescente en traversée plein nord vers le fond de vallée en amont de Lavachey (dénivelé négatif 500 m). Montée, via le Pré de Bar Dèsot et le refuge Elena, au Grand Col Ferret (2 537 m, dénivelé positif 900 m environ).
Descente à La Fouly via la combe de la Peule (dénivelé négatif 950 m). Variante plus esthétique, au prix d’une très courte remontée, par l’arête des Plantins, le sommet de la Dotse (2 492 m) et l’alpage de Pramplo. 

Tour du Mont Blanc à ski de rando - Jour 3 : La Fouly - Chamonix

Jour 3 : La Fouly – ChamonIx 

Via le hameau de Ferret, le Plan de la Chaux et les lacs de Fenêtre, montée en peaux de phoque au col des Trois lacs (2 673 m, dénivelé positif 1 100 m), descente à Bourg-Saint- Bernard à skis (dénivelé négatif 900 m) par la combe de Drône. Descente en stop à Orsières (20 minutes). OrsièresSembrancher-Martigny par le train Saint-Bernard Express, puis MartignyVallorcine-Chamonix par le train Mont-Blanc Express. 

Carte du tour du Mont Blanc en ski de rando

Carte : Léonie Schlosser / Alpes magazine

Réussir une randonnée à skis de plusieurs jours en itinérance à travers un massif représente l’une des plus belles aventures hivernales que peut offrir l’alpe à ses amoureux. Mais c’est un art délicat, exigeant souplesse et adaptabilité ! Une fois l’objectif défini, le groupe constitué et le créneau bloqué, il faut, des semaines à l’avance, définir l’itinéraire, dégoter les bonnes cartes, réserver les refuges, s’entraîner, surveiller les conditions d’enneigement... pour que, une fois sur deux, à quelques jours du départ, des prévisions météo ou nivologiques défavorables viennent finalement ruiner le plan patiemment élaboré !


Nous devions ainsi, en mars dernier, suivre le guide Nicolas Lochu et deux de ses clients sur une grande traversée de six jours, une haute route ambitieuse de Suisse en Italie... mais la menace d’une perturbation d’ampleur avait rendu caduc notre projet, trop engagé pour être envisagé par mauvais temps. Pas question pour autant de renoncer au départ laborieusement calé et au désir partagé d’une itinérance transfrontalière au pays du Mont-Blanc. En urgence, le guide rompu à l’exercice s’est adapté à la nouvelle donne : un raid raccourci à trois jours, les moins menacés, et des nuits à basse altitude pour que la retraite soit toujours possible. Le nouveau carnet de route reste pourtant un grand voyage, une itinérance futée autour du mont Blanc, un raid caméléon de vallée en vallée où l’on s’adapte en permanence à des environnements très différents.

De chamonix à courmayeur par les glaciers

Le voyage commence à Chamonix, devant la gare du téléphérique de l’aiguille du Midi. La première journée d’un raid est souvent consacrée à une montée en refuge mais, cette fois, nous irons droit au but, pour skier sans plus attendre. Au prix d’une attente matinale dans la foule bigarrée des touristes et des candidats à la vallée Blanche, jeton de réservation d’une benne en main, nous voilà projetés sans plus de cérémonie à 3 840 mètres d’altitude pour une première journée de grand ski ! Insérés dans la longue file des skieurs, nous descendons skis sur les sacs l’arête escarpée pour rejoindre les premières pentes skiables. Quelques virages, le cœur battant en raison de l’altitude, puis l’échauffement se poursuit à petite vitesse et le nez en l’air par l’un des plus beaux schuss du massif : la traversée du plateau du col du Midi.


Le glacier du Géant plonge ensuite vers le sud : c’est la première vraie descente, jubilatoire, au pied des dalles rocheuses de la pointe Lachenal et du formidable versant est du mont Blanc du Tacul. La foule des skieurs a bifurqué à gauche vers la mer de Glace, nous filons tout droit jusqu’aux premières crevasses, aux flancs de glace scintillants. Devant nous se dressent les pentes nord tourmentées du glacier du Géant qui remontent jusqu’à la frontière italienne. Nous allons là-haut : la première ascension en peaux de phoque nous attend, encordés comme il se doit pour contourner les entrelacs de crevasses. C’est une montée courte mais superbe : nous sommes au cœur du massif, tout juste entre deux de ses plus belles flèches de granit, le Grand Capucin et la Dent du Géant, au-dessus de la mer de Glace qui s’étend au loin. Déjà, la pente s’adoucit : le col oriental de Toule et la frontière italienne sont juste là. Le vent a sculpté dans la neige d’innombrables vaguelettes de porcelaine que nous piétinons avec un plaisir enfantin. 

Le col est un large promontoire où nous sommes saisis par le panorama qui se dévoile d’un coup : à plus de 180°, l’immensité des Alpes italiennes et du Sud aligne un océan de sommets à perte de vue… Du col, un escalier métallique monumental plonge en Italie, pour rejoindre une centaine de mètres plus bas le glacier de Toule. C’est reparti pour le grand ski ! Nous glissons vers Courmayeur le long de ce superbe glacier bien plus étroit que celui du Géant. Il est par endroits très raide et terriblement crevassé, mais Nicolas louvoie habilement, nous offrant l’une des plus belles descentes du massif. Nous rejoignons Mont-Fréty, la gare intermédiaire du téléphérique flambant neuf du versant sud du mont Blanc, le Skyway. Il y a trop peu de neige en dessous, c’est donc en téléphérique que nous rejoignons La Palud, au fond de la vallée de Courmayeur. Étrange sentiment à la sortie : plus de neige, nous revoilà sur le bitume, non loin de la route du tunnel où grondent les camions… Vite, fuyons ! Skis sur l’épaule, nous remontons jusqu’au hameau de La Palud où nous n’attendons que quelques minutes l’autobus salvateur pour Planpincieux, au bout de la route, à l’entrée du val Ferret sauvage.

 Pointe de la Goletta

Notre cheminement vers le haut du Val Ferret, au fil de la Doire pétrifiée par le gel, est un enchantement. Nous sommes seuls 

 au monde, au fond d’un vallon sauvage et pourtant accueillant.

L’écrin Du Val ferret

L’après-midi est déjà bien entamé lorsque nous nous engageons sur les pistes de Planpincieux. Des grappes de promeneurs à skis de fond, en raquettes, à pied ou en luge redescendent, tandis que nous partons vers le haut, à contre-courant… Bientôt nous sommes seuls. Nous glissons en silence sur le fond presque plat de la vallée, entre les mélèzes, en longeant le cours de la Doire de Ferret, torrent tranquille. Au-dessus de nous surgit bientôt l’immense versant italien des Grandes Jorasses. Cette vallée est la petite sœur jumelle et sauvage de celle de Chamonix : une haute vallée de l’Arve où aucun aménagement, aucune route, aucun village n’aurait été construit… Il est 17 heures lorsque nous atteignons Lavachey, l’unique petit hameau du val Ferret, avec sa quinzaine de chalets, dont un bar-restaurant où le jovial patron italien nous sert de grandes bières en terrasse. Bonheur à peine mérité puisque le principal obstacle de la journée, 500 m de dénivelé pour rejoindre le refuge Bonatti, est encore devant nous ! Nous quittons le fond de vallée pour remonter lentement son versant nord à travers une belle forêt. Plus nous prenons de l’altitude, dans la lumière de la fin d’après-midi, et plus l’incroyable beauté du val Ferret se dévoile. Face à nous, la pyramide des Grandes Jorasses, massive et parfaite. À l’ouest, le soleil se couche derrière l’arête majestueuse de Peuterey, sur le versant sud du mont Blanc aux dimensions quasi himalayennes. En dessous, la Doire s’embrase et miroite sous les feux du couchant. C’est tout simplement sublime… 


« L’aventure est en nous »

Nous débarquons au refuge Bonatti au crépuscule. Bien plus qu’un refuge, c’est un hôtel de haute montagne, chaleureux, confortable et soigneusement décoré. Partout aux murs, des photos du célèbre Walter Bonatti, mort en 2011 après une carrière d’alpiniste exceptionnelle et une seconde vie de grand reporter et photographe. « Il Maestro » avait accepté de donner son nom à ce refuge privé du val Ferret, bâti à la fin des années 1990 par des amis de Courmayeur. Mieux encore : il leur avait offert plus de 60 tirages de ses clichés et de célèbres photos de lui, sans oublier les unes originales de grands journaux relatant ses exploits. Des sources du Nil au pilier du Frêney, du Cervin à l’Atacama, tout son incroyable parcours de montagnard et de reporter aventurier est là. Dans un coin du réfectoire, l’une de ses maximes fétiches est gravée dans le bois : « L’aventura è dentro di noi », l’aventure est en nous… Mara, la gardienne, parle avec beaucoup d’émotion du grand Walter : « Il venait souvent passer un jour ou deux ici, jusqu’à l’été qui a précédé sa mort. Nous cherchons à faire de notre mieux pour être dignes de son nom et pour sa mémoire. » Ce ne sont pas là de vains mots. Mara et son équipe nous servent un dîner soigné et savoureux, proche du standing d’un grand restaurant… Nous clôturons par un café à la valdôtaine, servi dans sa grolle. Un plaisir gourmand de plus, dans l’esprit de cette incroyable journée qui nous a menés de la trépidante Chamonix à ce refuge perché sur les flancs préservés du val Ferret et habité par l’esprit de Bonatti.


Au petit jour, nous quittons le refuge au moment où le versant sud du massif du Mont-Blanc s’embrase au soleil levant. Un brin de montée, puis une descente sportive à travers la forêt nous ramène en fond de vallée où nous recollons les peaux pour reprendre notre cheminement rectiligne vers le haut du val Ferret, au fil de la Doire pétrifiée par le gel. La balade, à plat puis en pente douce, est un enchantement. Nous sommes seuls au monde, au fond d’un vallon sauvage et pourtant accueillant, surmonté par une succession de glaciers formidables, Frébouge, Triolet, Pré de Bar. Le fond du val Ferret approche, la végétation disparaît. Nous remontons de grandes pentes arrondies vers la ligne de crête des Éconduits qui ferme la vallée. À chaque conversion, le panorama sur le val Ferret et, dans la continuité, le val Veny, se fait de plus en plus grandiose. L’effort est régulier, serein et nous amène enfin au point culminant du jour, le Grand Col Ferret. Une borne frontière massive l’indique : derrière, c’est la Suisse.


De gauche à droite : la pointe Walker (4 208 m), les pointes des Hirondelles, les Petites Jorasses, l’aiguille de leschaux (3 759 m)
et le mont Gruetta (3 684 m).

La Fouly Douce 

Nous glissons en larges courbes vers le val Ferret suisse. Au bas du vallon de la Peule, nous rejoignons une piste enneigée qui mène tout droit jusqu’aux pistes de fond de La Fouly, petite station au cœur de la vallée. Le mont Blanc et les Grandes Jorasses ont disparu : ici règnent le mont Dolent et, à ses côtés, l’aiguille d’Argentière. La station village, née au début du XXe siècle sur un alpage, se surnomme « pays du Saint-Bernard ». Pas de trace du célèbre chien à notre arrivée, mais une ambiance toute romande. Les 85 habitants permanents, à l’image du célèbre et iconoclaste guide et himalayiste Jean Troillet, cultivent une décontraction bonhomme, une simplicité tranquille doublée d’un solide sens du confort et de l’accueil. La montagne d’ici est habitée, cultivée, il n’y a pas moins de cinq alpages occupés l’été en val Ferret suisse. Nous nous installons à l’Auberge des glaciers, rendez-vous des randonneurs à skis de Suisse romande, au pied des pistes de ski – sportives – de la station. Cuisine roborative et sympathique, bon vin, décoration surannée, mais avec le Wi-Fi : l’auberge est à l’image de ses patrons, sans façons, pragmatique et chaleureuse ! Le temps, lui, tourne au vinaigre. 

Au réveil, La Fouly est plongée dans une brume épaisse et humide. La météo nous laisse espérer quelques éclaircies en fin de matinée. Silencieux sous nos capuches, nous remontons la piste forestière de la veille. L’idée de Nicolas est de poursuivre plein sud la remontée du val Ferret suisse, dans l’espoir de rallier la Fenêtre de Ferret, d’où nous pourrions basculer sur le col du Grand-Saint-Bernard et son célèbre hospice. Sans visibilité dans cette ambiance cotonneuse, la marche, régulière et facile, est hypnotique et propice à la méditation… Nous avons attaqué des pentes plus raides lorsque la couche nuageuse se déchire peu à peu, laissant apparaître çà et là crêtes et vallons poudrés de neige fraîche. Face à nous, un superbe cirque neigeux surmonté par la face ouest relevée du Grand Golliat... un grand rapace plane à notre hauteur. Le pays du saint-bernard nous sort le grand jeu. Nicolas nous arrache à la contemplation et nous embarque sur des pentes raides en neige dure où les couteaux se révèlent indispensables. Nous débouchons sur le petit plateau suspendu des trois lacs de Fenêtre. Les nuages reviennent en force : nous n’irons pas jusqu’au Grand-Saint-Bernard. Le risque d’orage est réel, nous traverserons au plus court vers la prochaine vallée. Le petit col des Trois Lacs nous appelle. La pente très raide, en neige inconsistante, offre une parenthèse de ski-alpinisme : skis sur le sac, piolet en main, droit dans la pente pour un petit combat ludique ! Par moments, la croûte neigeuse cède et nous nous enfonçons jusqu’à mi-cuisses… Nous émergeons enfin d’un dernier coup de reins sur la corniche étroite du col des Trois Lacs. Sous nos pieds s’ouvre une nouvelle vallée, celle d’Entremont. 

Le grand retour

Pour la dernière descente à skis jusqu’à BourgSaint-Bernard, le ciel est bouché, la lumière grise, la neige de piètre qualité, mais qu’importe ! Le plus excitant, en raid, c’est bien d’avancer. Nous déchaussons sur le grand parking à l’entrée du tunnel. Désormais le jeu change : nous devons rallier Chamonix par une succession de transports en commun. Il y a bien un arrêt de bus, mais les fiches horaires délavées ne nous permettent pas de comprendre si la ligne est en activité en cette fin mars... Des randonneurs à skis arrivent et acceptent de nous embarquer. Tout s’enchaîne comme par miracle : nous nous faisons déposer quelques dizaines de minutes plus tard en gare d’Orsières. Un train est en partance pour Martigny, et nous bondissons dans le confortable Saint-Bernard Express, où un haut-parleur nous susurre avec un délicieux accent suisse : « Nous vous souhaitons la cordiale bienvenue. » Les villages se succèdent sous nos yeux, la promenade est belle jusqu’à Martigny. Là encore, tout s’enchaîne sans effort. Le Mont-Blanc Express nous attend déjà. Ce dernier trajet est le plus beau, à travers la haute vallée du Trient tout d’abord – crémaillère à 20 %, tunnels et à-pics, villages pittoresques des Marécottes et de Finhaut. Et voici la France, Vallorcine la belle puis la haute vallée de l’Arve, Montroc, Argentière, Les Praz. Enfin, Chamonix gare. Cette chevauchée ferrée originale, confortable et panoramique aura été ultrarapide : moins de cinq heures auparavant, nous déchaussions au fin fond de la haute vallée suisse d’Entremont et nous voici déjà rentrés. À skis surtout, mais aussi en téléphérique, en bus, à pied, en stop, en train. De la France à la Suisse via l’Italie, nous aurons, malgré les cieux défavorables, goûté à toutes les saveurs du pays du Mont-Blanc ! 



Reportage réalisé en 2017 par François Carrel (textes) et Nacho Grez (photos) pour Alpes magazine avec l’aide de Nicolas Lochu, guide de haute montagne.. Parution dans le numéro 169 d’Alpes magazine (Février-Mars 2018).


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