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« Auguri Pasqua » Joyeuses Pâques à Rochemolles  

Pour faire parler la poudre, pas besoin d’aller au bout du monde. Juste à la sortie du tunnel du Fréjus, côté italien, il existe une série de vallons secrets.
Des pentes faciles et accessibles depuis les remontées mécaniques de la station de ski de Bardonecchia.

Depuis le monte Jafferau (2815 m), le Valfreda. Au fond, le Passo Galambra (3060 m) et à droite la cima del Vallonetto (3217 m)

En bref


Texte & Photos Philippe Bonheme

Se loger

Chalet della Guida à Rochemolles. Chez Angela Ventricelli. Le Chalet della Guida est une résidence de tourisme qui dispose de 10 appartements de une à deux pièces équipés d’un coin cuisine. Capacité total : 20 personnes.

2 jours

Une rythme plutôt tranquille avec des dénivelés positifs de 1600 mètres cumulés sur les 2 jours

 Bon plan

A la caisse des remontées mécaniques de Jafferau, demander un forfait une heure de ski pour rejoindre le sommet des pistes. C’est très économique. 

L'itinéraire

Au jour le jour

Tour du Mont Blanc à ski de rando - Jour 1 : Chamoix - Refuge Bonatti

Jour 1

Départ par les remontées mécaniques au mont Jafferau (2 815 m) – Du sommet télésiège, environ 50 m de dénivelés pour atteindre la cime du Jafferau – Descente dans le vallon du Valfredda jusqu’aux granges de Valfredda (2200 m) – Remontée à la Tête du Coin (3004 m)- Descente dans le vallon d’Almiane jusqu’à Rochemolles (1600 m). Dénivelés positives : 804 m. Dénivelés négatives : 500 m + 1400 m

Tour du Mont Blanc à ski de rando - Jour 2 : Refuge Bonatti – La Fouly

Jour 2

Départ par les remontées mécaniques au mont Jafferau (2 815 m) – Du sommet télésiège, environ 50 m de dénivelés pour atteindre la cime du Jafferau – Descente dans le vallon du Valfredda jusqu’aux granges de Valfredda (2200 m). Montée au col Galmabra (3030 m)- Descente sur le vallon de Galambra au refuge Levi Molinari (1850 m) puis au hameau d’Eclause
Dénivelés positives : 830 m. Dénivelés négatives : 1730 m 

Carte du tour du Mont Blanc en ski de rando

Source OpenTopoMap

Au col de Galambra, les skieurs peuvent aussi basculer sur le Vallon du Fond par le passo Meridionale dei Fourneaux (3060 m) ou rejoindre la pointe Sommeiller (3332 m), sommet sur la frontière franco-italienne.

Encore un vol par effraction… Ce printemps 2018, bien malin qui pouvait prévoir la météo au-delà de… deux heures, tellement les perturbations d’Ouest se succédaient sur les Alpes du Nord. Comme dit le dicton montagnard, « qui regarde trop la météo, reste au bistro », il fallait accepter de jouer au loto de la météo… Et par fois, on gagne ! 


En ce week-end de Pâques, sitôt passé le tunnel franco-italien du Fréjus, il régnait sur la ville piémontaise de Bardonecchia – Bardonnèche –, un franc soleil illuminant des hauteurs de neige dignes d’un mois de février au siècle dernier… Plus d’un mètre d’épaisseur à 1400 mètres, point de départ des remontées mécaniques qui escaladent le mont Jafferau, la première montagne en sortant du tunnel routier qui domine en rive droite la Doire de Bardonnechia. Des conditions rares car si l’on fie aux statistiques publiées par Météo France sur l’hiver 2017-18, il faut remonter la saison 1981 pour trouver des hauteurs de neige identiques à Pâques.

« Auguri pasqua ! »

« Auguri pasqua ! » lancent joyeusement les employés des remontées mécaniques aux skieurs italiens, très nombreux en ce week-end pascal. Avec les vacances du mois d’août, le congé de Pâques est sans doute le plus suivi en Italie. Sur le parking de Jafferau, débarquent des dizaines de gamins casqués, et décorés d’écussons et de cocardes aux couleurs du drapeau italien. Une compétition de slalom serait-elle organisée ? Est-ce le grand retour d’Alberto Tomba ? Comme me l’explique un skieur originaire de Turin, les Italiens sont avec les Autrichiens les derniers adeptes du ski alpin de compétition. Pour nous qui ne faisons qu’emprunter les remontées pour gagner le sommet du Jafferau (2807 m), c’est la promesse d’échapper très vite à la cohue des mangeurs de piquets. 


Les automobilistes qui empruntent l’autoroute du val de Suse n’aperçoivent de cette vallée que des paysages un peu terne et sec, à peine verdis par des forêts chétives de pins sylvestres. Les deux versants de ce grand corridor cachent dans leurs replis une multiplicité de vallons d’altitude qui sont accessibles soit au prix d’une longue marche d’approche, soit grâce aux remontées du mont Jafferau. À 2800 m se déploient sous nos yeux, non pas un, mais trois vallons parallèles qui sont ouverts comme les feuillets d’un livre jusqu’à la crête frontalière avec la Haute Maurienne voisine. Le premier, c’est le Valfredda ou Valfroide l’ancien nom franco-provençal (la haute vallée de Suse ayant appartenu jusqu’en 1713 au Dauphiné) ; le second, le val d’Almiane, et le troisième, accolé aux sommets frontaliers, le vallon du Sommeiller ou du Fond. Ces trois vallons alignés comme les dents d’un peigne convergent tous vers la vallée de Rochemolles. Le terme « vallée » est sans doute exact sur le plan géographique et hydrographique, mais impropre pour qualifier une gorge étroite. Soit, les glaciers n’ont pas fait leur travail lors de la dernière glaciation, soit les eaux du torrent de Rochemolles ont embarquées les sédiments glaciaires et surcreusées les schistes et les marnes calcaires. 


Le village de Rochemolles occupe le seul endroit à peu près plat, un cône de déjection encadré par de puissants couloirs d’avalanche. Pourquoi diable des hommes ont-ils choisi de se tasser dans un endroit aussi encaissé, peu ensoleillé, soumis aux avalanches et à une altitude relativement élevée (1600 m), alors que juste en face, les beaux pâturages de Mouchecuite leur tendaient les bras ? Est-ce dû à un problème de surpopulation ? Il apparaît que l’église Saint-Pierre Apôtre de Rochemolles est mentionnée dans des chartes dès 1296, soit bien avant la grande peste qui décimera la moitié de la population alpine. Ce serait l’une des plus anciennes églises de l’ancien Escarton (communauté libre de franchises) de Bardonnèche, qui appartenait à la province du Dauphiné. Deux hypothèses circulent à propos de la fondation de Rochemolles : le village aurait été fondé par les débris de l’armée des Huns, à l’époque où celle-ci ravageait l’empire romain déclinant. Seconde hypothèse, cette terre aurait été donnée par les seigneurs de Bardonnèche à des Sarrazins, une manière de fixer ces envahisseurs et d’en finir avec leur razzia. Si rien ne vient prouver l’une ou l’autre thèse, il y a de fortes chances que les premiers habitants furent des cultivateurs et des éleveurs attirés par les beaux alpages des trois vallons de Valfroide, d’Almiane et de Sommeiller qui pouvaient accueillir des milliers de brebis. 

Si nous savons peu de choses sur les motivations des habitants de Rochemolles, une chose est sûre, ils n’ont jamais déserté leur village, même à l’époque où Turin l’industrieuse cherchait des bras ; et ils nous légué ces grands vallons ouverts débarrassés de leurs forêts primitives, parfait pour le ski de randonnée. Non seulement, nous accédons sans efforts au sommet du mont Jafferau, mais en plus nous commençons la journée par une descente facile de plus de 500 mètres de dénivelés jusqu’aux Granges de Valfroide. En face se dressent les pentes de la Tête du Coin, un tranquille « 3000 ». Nous allons jouer à saute-montagne, avec en récompense une somptueuse descente dans le vallon d’Almiane – plus de 5 km de parcours et 1400 mètres de dénivelés – à laisser dériver nos spatules jusqu’à Rochemolles. Nous évoluons au cœur d’une montagne déserte et immense, où émerge un seul chalet d’alpage enseveli sous la neige. Au loin se dressent les crêtes orgueilleuses de l’aiguille de Scolette, un 3500 m et des dizaines de petites pointes dépassant les 3000 m– aiguilles de Pierre Minieu, pointe Michel, Gros Peyron, Rognosa d’Étache, pointe Sommeiller…L’ensemble dégouline de neige fraîche. Difficile d’imaginer que nous sommes début avril.


Nous redescendons sur Rochemolles en suivant un ancien chemin de fer Decauville qui servit à acheminer le béton lors de la construction du barrage de Rochemolles. Commencé au début de la première guerre mondiale, le barrage a été achevé en 1930. Sa vocation était de fournir une partie de l’énergie nécessaire à l’électrification de la ligne du Fréjus. D’anciennes terrasses de culture nous emmènent jusqu’à Rochemolles, village qui vit recroquevillé à l’ombre des pentes menaçantes et interminables de la punta Gardiora ou Gardiola (3 140 m). Une énorme tourne (levée de terre) protège Rochemolles des plus grosses avalanches, comme celles de 1706, puis 1749 qui décapita le clocher de l’église paroissiale, ou encore de 1961. C’est là que vivent Alberto et Angela Ventricelli, les seuls « opérateurs » touristiques locaux, à la tête d’un petit « empire », L’Fouie, un restaurant de spécialités régionales très prisés des Turinois et le Chalet della Guida, un hébergement composé de coquets studios. Alberto a longtemps exercé comme guide et connaît le coin comme sa poche. Mais quand il est rejoint par un second guide Alberto Re, basé à Oulx et collègue d’Yvan Estienne, c’est à celui qui indiquera le meilleur itinéraire pour le lendemain. La Tête du Coin et la redescente par le vallon d’Almiane n’étaient que les « antipasti ». Le passo Galambra un autre 3000 sera le plat de résistance. 

 Pointe de la Goletta

Les pentes sommitales du vallon d’Almiane. En face, l’aiguille de Scolette, autre sommet franco-italien

Une série de croupes et de faux plats

Même point de départ que la veille – le mont Jafferau – et même début de descente sur les granges de Valfroide à 2200 m. Il ne reste plus qu’à atteindre le col Galambra. Dans Tintin au Pays de l’Or Noir, les Dupont et Dupond après une panne sèche de carburant sont sujets à des hallucinations : ils croient voir des oasis à l’horizon pour enfin se désaltérer…Le passo Galambra, c’est un peu la même chose, sans la soif : vous croyez l’atteindre et la ligne d’horizon se déplace sans cesse. Ces cinq kilomètres me parurent très long. Pas de montées franches, mais plutôt une série de croupes et de faux plats avant enfin d’apercevoir le paysage de l’autre côté de la montagne. A 3000 mètres, la carte indique « glacier de Galambra». Disparu le glacier. À la place un immense terrain plat comme plusieurs terrain de football d’ou émergent au centre une petite cabane rouge, le bivouac Mario Sigot, et à gauche des ruines de casernes.

Nous skions sur des roulements à bille

Une vieille photo retrouvée à notre retour prouvera qu’en 1950 il y avait bien un glacier et même qu’au début du XXe siècle, les habitants de la localité de Salbertrand montait au glacier l’été pour en redescendre des pains de glace – 2000 mètres de dénivelés à la montée et à la descente avec des blocs de glace de plusieurs dizaines de kilos à freiner – , qu’ils exportaient par le train jusqu’à Turin chez les cafetiers et les aubergistes. Pour l’heure, nous cherchons l’entrée du couloir de descente dans ce vaste no man’s land. La lumière plombée ne facilite pas la lecture du relief. Ça y est le voici, il est juste à l’aval di Roc Peirus (3189m) : un gigantesque toboggan de 800 mètres de dénivelés doit nous mener au refuge Levi Molinari dans le vallon de Galambra. Nous ne faisons pas trop les malins en traçant de grosses courbes, la neige étant trop sujette à des variations de densité, légère en surface, croûteuse en profondeur. Un très bon surfeur pourrait vraiment s’amuser à rider ce half-pipe géant. Les cartes italiennes étant d’une imprécision remarquables – c’est la raison pour laquelle les Soviétiques n’ont jamais même songé à envahir l’Italie ! – nous manquons la sortie latérale par le col delle Monache (2568 m) et nous nous engouffrons dans un dernier petit goulet. Yvan Estienne joue les éclaireurs pour tâter le terrain. Pas de barres rocheuses et autres ruptures de terrain. Nous ne traînons pas trop dans les parages, des petites coulées de surface s’étant produites. Nous skions sur des roulements à bille. Derniers virages jusqu’au refuge Molinari et comme nous n’en avons pas assez sollicité nos cuisses, nous allons nous égarer dans la forêt de mélèzes de Salbertrand… La punition est immédiate : une bonne suée à pied dans la neige molle pour récupérer la piste forestière et rejoindre le bus d’Alberto qui nous attend en bout de route au hameau déserté d’Eclause. 



Texte & Photos Philippe Bonheme / Alpes magazine


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Cette sortie était encadrée par le guide Yvan Estienne : www.guide-estienne.com

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