Nouvelles de la montagne - 1943 - 74. Naissance du lac du Vallon.

Le 21 avril à 23h08

Nouvelles de la montagne - 1943 - 74.

Naissance du lac du Vallon.

https://www.altituderando.com/Pointe-de-la-Gay-1801m-Rochers-de-la-Mottaz-1657m-en-circuit-par-l-Ermont
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Quand un incroyable glissement de terrain fait naître un lac en Haute-Savoie.

Texte de Sylvaine Romanaz

Cette nuit-là, dans la vallée du Brevon, un craquement se fait entendre au loin. Sous la pointe de la Gay, côté sud-ouest, à près de 1800m d’altitude, le sol se fissure … Une montagne qui bouge au printemps, cela arrive : il pleut, la neige fond, rituel chaque année. Mais bientôt les fissures deviennent crevasses et les pentes se mettent à glisser lentement …

Bien sûr au fond, la nouvelle n’a rien de réjouissante. Mais en ce début d’avril 1943 c’est l’une des rares à la Une des journaux qui ne parle ni de morts sur le front, ni de prisonniers, ni de bombardements.

En Haute-Savoie, à Bellevaux, un lac est encore monté de trois mètres. Voilà ce qui est écrit en ce 6 avril 1943 et qui change un peu les idées des lecteurs. Une « nappe impressionnante sur plus d’un kilomètre, à 30m au-dessus du niveau du Brevon » note entre autres "Le Journal des débats politiques et littéraires" : cela fait un joli lac !

Quoique, joli, n’est pas le premier mot qui vient à l’esprit des habitants du coin. Car ce lac, jusque-là … n’existait pas. C’est un glissement de terrain qui vient de le créer de toute pièce. Un glissement de terrain qui n’en finit pas …

Dans ce coin du Chablais, tout a commencé entre le 11 et le 12 mars. Cette nuit-là, dans la vallée du Brevon, un craquement se fait entendre au loin. Sous la pointe de la Gay, côté sud-ouest, à près de 1800m d’altitude, le sol se fissure …

Une montagne qui bouge au printemps, cela arrive : il pleut, la neige fond, rituel chaque année. Mais bientôt les fissures deviennent crevasses. Et les pentes se mettent à glisser lentement … Personne à cet endroit-là, rien de grave ? Sauf que le phénomène ne s’arrête pas.

Alors ce sol qui bouge, ce sont d’abord des éboulements et des arbres qui chutent. Puis des pâturages grignotés. Et enfin un torrent qui, envahi par la terre, voit ses eaux se transformer en boue. Car, particularité de ce côté de la pointe de la Gay, ces pentes alimentent en grande partie le torrent du Brevon.

Où vont finir ces mètres cubes de terre qui glissent et cette boue qui remplace déjà l’eau ? Là où la géographie va le permettre, au fond de la vallée. C’est-à-dire, de plus en plus près des Hommes, sur la commune de Bellevaux.

Quand les journaux du 15 mars relaient la nouvelle, on estime à près de 200 000 m3 le terrain qui est en mouvement. Et en train de descendre à raison de 200m3 par jour …

Comment tenter de gérer ces quantités de boue, d’arbres et de blocs de roches qui sont charriés ? En faisant sauter le pont de Vallon par exemple. Mais il faut bien l’admettre, les moyens humains ne font pas le poids face à la montagne. « Comme une coulée de lave, le terrain mouvant de Bellevaux engloutit maisons et scieries » titre Le Petit Dauphinois au matin du 16 mars. Alors il faut surtout se résoudre à la seule chose à faire : évacuer.

Tout le monde en sécurité, ne reste qu’à attendre. En observant la vallée en train de se transformer à vue d’œil. Car ça y est, le glissement de terrain, venu de la rive droite du Brevon, butte contre la rive gauche. Plus solide qu’un barrage de béton, un mur de boue et de roches bloque le passage du torrent.

(Schéma des lieux)
https://ldl.shorthandstories.com/et-la-montagne-se-fissura-quand-un-glissement-de-terrain-entraina-la-creation-d-un-lac-en-haute-savoie/assets/aTbbb8b3HC/32-1-862x717.png

Que fait la nature dans ces cas-là ? Elle transforme une rivière en lac…
Ça y est, les maisons du hameau de Borot baignent dans l’eau. Mais ce n’est presque rien par rapport à ce que l’on craint. Car plus bas, derrière ce barrage de fortune, comment se sentir en sécurité ?

Il n’y a qu’à regarder la boue qui en suinte pour craindre que tout lâche d’un coup. 300m par jour, voilà ce que gagne le flot noirâtre. Déjà deux scieries englouties, et voilà que l’on craint pour le hameau de La Clusaz. Quant aux 70 habitants de la Chèvrerie, eux, se sont l’isolement auquel ils font face : la route est coupée.

Mais finalement, la nature, elle, s’adapte. Dans la presse du 17 mars on se réjouit : la rupture totale devrait être évitée, le torrent semble arriver à se creuser un nouveau lit dans la masse qui obstrue la vallée. Reste quand même cette boue qui continue d’avancer implacablement et ce nouveau lac qui grossit, grossit …

Qu’écrit-on dans la presse alors ? La même chose que pour la guerre : que la générosité joue à plein. Dans les journaux collaborationnistes on insiste sur cet Etat si généreux qui aide les sinistrés, dans les autres on accentue la solidarité qui s’organise entre les habitants.

Sur place dans les hameaux de Bellevaux, on gère surtout comme on peut.

Tout ce qui peut être récupéré dans les maisons abandonnées est mis à l’abri : la moindre tuile des toits, le moindre bois des murs, le plus petit ustensile, en pleine guerre tout vaut de l’or. Et l’on réfléchit déjà aux ponts et barrages qu’on pourrait mettre en place.

Mais on y réfléchit seulement. Dans Le Petit Dauphinois un technicien prévient : aucune prévision de possible, il faut attendre : « car à l’heure actuelle, nul ne peut prévoir où s’arrêtera le flot dévastateur ».

Et il ne croit pas si bien dire. Le 18 mars nouvelle annonce : plus haut dans la montagne un autre craquement s’est fait entendre. Au-dessus des alpages de Vallonnet, la terre se fend … bis repetita : autant démonter les chalets tout de suite ... Et plus bas le sol est toujours si instable que la passerelle de fortune qui avait été mise en place pour rallier le village de la Chèvrerie a cédé. Et enfin, une nouvelle poche d’eau bloquée dans une pente vient de lâcher : encore quelques maisons de plus à évacuer.

« La montagne craque toujours » : c’est avec ce titre qui fleurit dans les journaux que les jours passent. On se réjouit quand la boue ralentit, que le lac en formation ne grossit pas trop vite, on tremble à chaque nouvelle fissure ou poche d’eau repérée, on scrute les arbres qui servent de remparts … S’ils lâchaient ? « C’est toute la montagne qui descendrait » s’alarme un fermier dans les colonnes de Paris-Soir.

Il n’a pas le temps de s’épancher plus, l’homme tient à récupérer du foin dans une grange avant qu’elle ne s’écroule. Prévoir et prendre des précautions, l’habitude est prise. D’ailleurs, le village de La Clusaz est évacué à son tour. Celui de Malacraix suivra.

Mars s’est égrené, avril prend la suite. Et dans le Chablais, la terre glisse encore et toujours, et le nouveau lac se gonfle inlassablement. 3 mètres de plus, note-t-on le 6 avril. « Situation toujours alarmante » titre la presse. Des jeunes des « chantiers de la jeunesse » créés par Vichy arrivent sur place. Objectif : faire en sorte que l’eau puisse continuer à s’évacuer du lac pour que ses « berges » restent le plus stables possible. Mais la nature a "bien" fait les choses. Quelque 2 millions de m3 de terrain et 2000m3 de bois : cela fait un barrage solide …

Tout semble d’ailleurs s’arrêter. Jusqu’à une nouvelle alerte le 11 avril. Le sol glisse une fois de plus, le lac grossit… On craint LA catastrophe, elle n’arrivera jamais.

Le lac s’installe, après avoir englouti au total une vingtaine de maisons. Il paraîtra bientôt faire partie du paysage depuis toujours, seules quelques ruines sortant de ses eaux témoignant de son histoire. Il y est encore sous le nom de lac de Vallon. Vous pouvez aller le contempler d’un pas décidé : depuis le sol tient bon.

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(Quelques photos d’époque et coupures de Presse)

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Réponses

  • par Le 22 avril à 09h22

    Bien intéressant tout ça.
    Merci Robert

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