Sortie du 10 mai 2024 par François Lannes Ravin Forane (1760m) versant ’est’ de la cime de Cornillon

Les Anciens étaient vraiment costauds, vaillants, courageux ! Des montagnards, quoi.

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Conditions météo

Beau temps ; quelques nuages blancs.
Terrain sec mais encore un peu souple des pluies récentes, ce qui était très bien.

Récit de la sortie

Prologue :

Cela s’est passé au cours de l’été 2022.
Je redescendais du Gros Cornillon, à la pointe nord-est du Taillefer.
C’est là que j’ai rencontré les deux montagnards : sur de tels cheminements, c’est tellement rare !

Nous avions discuté le coup.
L’un des deux connaissait le coin du Cornillon comme sa poche – il le pratiquait depuis trente-huit ans ! – et j’avais plaisir à lui faire raconter les détails des sentiers et passages qu’il connaissait.
Entre autres, je le questionnais à propos de la fameuse rampe métallique scellée dans la roche, celle que j’avais utilisée en montant au Grain de Chalvet.

Evidemment le bonhomme la connaissait ! Mais plus que cela, il m’expliquait qu’il y avait d’autres rampes qui avaient été mises en place, et dans un endroit tout proche de là où nous nous trouvions.
Alléché par cette information, je tachais de lui en faire raconter le maximum, afin d’aller voir sur place ces autres barres métalliques – les Via Ferrata du siècle dernier – si surprenantes dans la montagne.

Il m’expliquait donc que ces barres se trouvaient sur la montée qui va depuis la Plaine des Sables jusqu’à la combe Forane. Sur ce parcours, entre 1800 et 2000 mètres d’altitude, se trouve une falaise raide et en partie végétale, dans laquelle les Anciens avaient détecté un cheminement possible, et qu’ils l’avaient équipée de quatre ou cinq barres (il n’en savait plus le nombre exact) afin de servir de rampes pour son franchissement. Les informations étaient assez précises pour que je sache resituer les lieux sur la carte, et que je puisse aller faire un tour.
Il me semblait tellement magnifique de pouvoir retrouver ce passage, équipé de rampes, que j’en étais tout émoustillé !

Dans le détail donc, il fallait remonter un cône d’éboulis dont le pointu allait tout contre la falaise, rentrer dans la faille qui se présentait à ce niveau, et monter dans les rochers sur la gauche. Ensuite, il y avait une zone avec beaucoup de végétations, dont les fameuses vernes qui sont si pénibles à traverser, et enfin la sortie en partie haute dans un pré très pentu qui débouchait enfin en partie basse de la combe Forane.

Les observations sur IGN, que ce soit avec la carte topographique ou avec les photos aériennes, ne confirmaient pas complètement ce que j’en avais compris. En effet il y avait dans ce secteur deux cônes possibles : l’un en pierrier, effectivement ; l’autre était en terre et en herbes. Tous deux correspondaient à la description faite et rien ne permettait de trancher lequel était le bon cône à aborder.

A force de regarder les images, je finis par me convaincre que la bonne solution était celui de gauche, c’est à dire celui en terre-herbe et non celui en éboulis. D’abord parce qu’il empruntait un éperon visiblement moins difficile techniquement, moins haut également, et puis que son sommet rejoignait plus directement la combe Forane et notamment l’endroit où se détectait un reliquat de sentier. Mais rien n’était garanti et seule une visite sur place en donnerait le fin mot.

L’année 2022 était organisée autour du projet de la Cime de Cornillon. Je n’ai pas eu de temps pour tenter l’objectif des barres Forane.
L’année 2023 s’est déroulée avec d’autres projets, à Belle-Motte, au Moucherotte, au col d’Ornon. Il n’a pas non plus été question de la fameuse combe.
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La sortie :

Le printemps 2024 arrive, avec son mois de mai hésitant et de la neige présente encore assez bas sur les versants. Cela empêchait de continuer les reconnaissances commencées au Rissiou, ou même d’aller dans le Dévoluy. C’est là que ressortit cette idée de rampes métalliques à aller vérifier à Forane.

Prudent cette fois, les crampons sont mis dans le sac, avec le piolet pour tailler les marches. On ne sait jamais !

Je retrouve avec grand plaisir ce sentier « oublié » qui remonte le versant ‘est’ du Cornillon. J’en recompte d’ailleurs le nombre des épingles à cheveux qu’il comporte et le total se monte à : 11 + 23 + 7, soit quarante-et-une épingles.
Comme je commence à l’avoir bien constaté, en pratiquant ces sentiers à l’abandon, la vie de la forêt – ou plutôt l’usure de la forêt – se manifeste intensément. Les branches mortes tombées au sol sont très nombreuses, et je les pousse dans le talus d’un coup de bâton. Il y a même quatre troncs qui ont été jetés en travers du passage. Sauf qu’aujourd’hui, je n’ai pas pris la scie ! Ces troncs resteront donc à leur place, en travers, et le nettoyage nécessaire sera à faire une autre fois.

L’arrivée face au ravin Forane est toujours aussi marquante, qui plus est aujourd’hui où le soleil brille fort et où tous les reliefs sont mis en évidence. Il s’agit maintenant d’attaquer le gros morceau du jour : la montée dans ce ravin. Inutile d’insister sur les déboires d’un pierrier mobile qui occupe l’axe central ; ou de ses flancs en terre dure ; ou des cailloutis instables…
La sortie de ce « piège » est un vrai soulagement, d’autant plus agréable qu’elle se fait sur une pente ou l’herbe retrouve quelques droits : ce serait presque le paradis, ici !

Voici enfin l’étage supérieur.
Enfin, ce n’est pas le dernier étage de la montagne, non, parce qu’il y en a encore deux autres au-dessus. Mais il s’agit de l’étage final pour la journée. Arrivé en haut de ce cône, je pourrai enfin savoir si c’est ici que se trouve le « passage » vers la combe Forane.

Ayant opté pour le côté droit du cône herbeux, ce choix ne fut pas le bon. En effet, la pente qui raidit, l’herbe maigre sur laquelle les semelles glissent, le fond de terre qui est toujours dur et sans encoche pour mettre les chaussures, firent que le mal-à-l’aise s’amplifia rapidement. Il fallut sortir le piolet avec sa lame pointue pour servir d’ancre.
Si les jambes et les bras eurent alors leurs occupations bien précises à remplir, de son côté le cerveau commença la mise en place du réflexe de secours : « En cas de glissade, je lâche le bâton de la main gauche et me jette sur le piolet – des deux mains – pour le planter dans la terre ! Profond ! »
En espérant que cela fonctionne !

Comme très souvent dans le final d’une sortie ardue, c’est le mental qui est sollicité.
On se fixe un objectif raisonnable : cinq mètres devant, pas plus.
On repère les emplacements possibles pour les pieds.
On enchaine les mouvements, lentement mais vite.
Arrivé à l’emplacement visé, on respire : d’abord un grand coup, puis par halètements saccadés afin de reprendre l’oxygène du mieux possible.
La séquence n’a plus qu’à être répétée autant de fois que nécessaire…
Au mental !

Je suis en place, sur l’observatoire idéal pour ce que je veux faire : scruter le pilier à gauche de la gorge Forane, et voir si les barres métalliques sont là, ou non.

Pendant les cinq premières minutes, je ne vois rien de particulier.
Il fallait d’abord comprendre la structure du pilier, et essayer d’en déduire où un passage pouvait éventuellement se faire. Et ensuite seulement, fouiller en détail la zone déterminée pour – si la chance le voulait – enfin voir le Graal.
Mais ces minutes furent sans résultat…
Bigre.
Peut-être que ce n’est pas ici le passage des Anciens ??

De plus, la partie supérieure de l’éperon est vraiment touffue ! La végétation – que ce soient des vernes penchées voire pendantes, quelques arbres droits, de nombreux buissons genre genêts ou rhododendrons (ou autres essences) – est imposante et constitue un véritable barrage à toute progression. Sans compter la raideur ! Ce n’est pas encore vertical, mais ça n’en est pas loin.

Je perds espoir de trouver ce pour quoi je suis venu.
Le casse-croute fait diversion et repose les yeux qui ont cherché à percer le mystère.

Remettant les jumelles en fonction, et en visant la partie basse des rochers, je balaye la zone avec insistance.
Je scrute.

Et tout à coup, une forme arrondie apparaît dans les oculaires. Un demi-cercle qui ne peut pas être issu de la nature, avec deux bords rapprochés et parallèles.
Bingo !
Ça y est, je la tiens !
La barre ! Elle est là ! Elle file vers le haut, se faufile dans une fissure entre un bloc et la paroi. Elle ressort un mètre plus haut, zigzague, puis disparait dans l’ombre du rocher.
A peine cinq mètres plus haut, il y en a une deuxième. Youpi ! ! !
Celle-là, elle part en travers vers la gauche, en suivant une espèce de vire. On ne voit pas où elle se termine.
C’est donc bien là !
C’est là que les Anciens avaient tracé leur passage pour atteindre la combe Forane depuis la vallée.

Sauf que l’analyse des lieux n’est pas finie.
D’après l’information reçue, il pourrait y avoir quatre, voire cinq de ces barres-rampes et je n’en ai vu que deux pour le moment.
Il faut continuer de fouiller.

L’intention est bonne, certes.
Mais je ne trouve rien de plus.
Rien.
Le quart d’heure suivant n’a rien révélé de plus que du rocher brut, et des végétations infernales.
Bien sûr un cheminement peut s’imaginer, qui prendrait une vire vers la gauche, puis une autre vers la droite. Puis qui franchirait un ressaut – on ne sait pas comment ? – et qui continuerait encore vers le haut…
Mais là, il s’agit de rêve, et non de réalité.

La réalité, c’est que les Anciens avaient tracé quelque chose ici. Mais que le temps a passé, trop de temps, et que l’entretien du passage n’a pas été fait – plus personne n’a besoin de monter par-là, aujourd’hui – et que donc le passage s’est refermé. Les deux barres attestent que c’est bien là qu’il fallait venir. Mais le restant de cet éperon est revenu à son état naturel et le passage n’existe plus…

La raideur, la presque verticalité de cet éperon me fait peur. Il est trop difficile. Il est trop compliqué, surtout la zone de végétation, dans le haut, qui doit vraiment être une partie affreuse.
Deux cristalliers que j’avais croisé, et qui connaissent aussi ces lieux, m’avaient parlé d’un de leurs amis qui était passé là, à la montée et à la descente. C’était il y a trois ou quatre ans avant……. Enfin, avant l’année 2022 !
Et tout se modifie si vite.

En tous les cas, les Anciens n’avaient pas peur. Ils étaient costauds, vaillants, courageux ! C’étaient de vrais montagnards. S’il en était besoin, une nouvelle preuve en est donnée ici, sur ce bout de montagne perdue.

Et moi, maintenant que je suis vieux, bien trop vieux pour ce genre d’exercice, c’est fini : jamais je ne monterai là, pour rejoindre la combe Forane…
Et puis ce passage est si difficile, il me fait tellement peur que finalement je ne peux même pas être déçu de ne pas le franchir.

Alors je vais redescendre, tranquillement, en tâchant de ne pas me faire mal, ni aux genoux, ni aux chevilles, ni ailleurs, et ce sera déjà un bon résultat. Je me le suis déjà répété tant de fois : « Un montagnard qui a vieilli, c’est un montagnard qui a su faire demi-tour quand il fallait ».
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Épilogue :

Cette petite histoire a été écrite afin de laisser une trace de ce passage oublié (oublié ?? oui, mais pas de quelques chasseurs du coin, forcément). Le secret avait été gardé sur lui dans l’idée que la solution complète du problème pourrait être apportée : c’est vrai, je l’espérais. Ce ne fut pas le cas. Mais au moins maintenant, il y a un écrit.

Peut-être qu’un lecteur audacieux, courageux – très audacieux, très courageux – tentera l’Affaire de l’éperon Forane, un jour. Ce sera un défi de grande ampleur.
Moi, je passe le témoin ; je n’y arriverai pas.

. Randonnée réalisée le 10 mai

. Dernière modification : 16 mai 2024 (Avertissements et Droits d'auteur)

Auteur :

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Afficher les commentaires précédents (3).
  • Quel récit haletant, merci François !

    Le 22 mai à 10h53
  • Bonjour Geneviève,
    Mais c’est avec plaisir !
    Et merci aussi à toi de ton gentil petit mot.

    Le 22 mai à 15h24
  • Eh bien François, ce n’est quand même pas le chant du cygne !?

    Le 22 mai à 21h17
  • Bonsoir hereme,

    Non, non : rassure-toi, je ne vais pas lâcher la randonnée...ni celle qui est dite "du vertige". Non.

    Sauf que quand même, les années passent, et les difficultés s’additionnent. Donc tout n’est plus possible comme avant. Alors de temps à autre, un coup de "moins bien" se fait voir dans le moral.

    Bon, il faut quand même reconnaître que cet éperon Forane a bien mauvaise gueule, et que son franchissement serait/sera une affaire plus que sérieuse pour celui qui le tenterait/tentera... Et que j’aurais bien aimé être celui-là. Mais je n’y crois plus, maintenant que je l’ai approché.

    Et puis j’ai d’autres envies/projets, en particulier dans le Dévoluy. Ce ne sera pas forcément facile, mais comme toujours, il faut aller voir sur place pour savoir si cela peut passer.
    Suite au prochain épisode.
    Et merci d’avoir posé la question...

    Le 22 mai à 21h29
  • François, je suis complètement d’accord avec ton analyse, et je la partage entièrement, hélas devrais-je dire !!! Et je pense qu’on est un bon paquet dans ce club !
    En tout cas bravo à toi pour ta persévérance, et on espère lire encore beaucoup d’explorations comme celle-là....

    Le 22 mai à 22h22
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