Sortie du 23 novembre 2023 par Forêts-myrtilles-et-caillasse et yougs Rocher de Séguret (2051m) - Roche Rousse (2121m) par le Pas de Berrièves et le Pas de la Posterle

Brumes et brouillards sous 1600m, grand bleu et vent tempétueux au-dessus.

Dans un pré, un peu avant le col de Deux, deux biches trottent gracieusement. On y voit à raison comme un bon présage : à la fin de la journée, on aura croisé une foule de chamois, quelques bouquetins, un vautour, des chocards, un tétras-lyre, et même deux hérons ! Croiser d’autres vivants, reconnaître l’étincelle de vie dans le brillant de leurs yeux, se laisser gagner par l’émotion et la joie, la grâce que certains appelles divine. Au retour, dans le haut du Ravin de Farnaud, deux chasseurs planquent, tendus comme l’ombre noire de leurs fusils. Ils sont à l’affût de cette étincelle, car il leur faut l’éteindre comme on mouche la lueur d’une bougie quand la nuit recouvre l’âme.

En attendant, la journée ne fait que commencer et l’ambiance est grise. Des geais jacassent sur notre passage et l’automne touche à sa fin dans la forêt. Des feuilles jaunies pendent mollement dans l’atmosphère froide et humide. Quelques maigres plaques de neiges croustillent sous les chaussures et on guette tous la petite illumination dans la grisaille, espérant le soleil et sa lumière.

Et puis comme dans un cinématique bien huilée, alors que l’on quitte la forêt au point côté 1645m, le ciel se déchire, bleu profond, révélant l’horizon immense de la barrière orientale du Vercors, délicatement plâtré. Une telle vision suscite forcément l’allégresse et la marche se fait d’un coup plus légère, à présent accompagnée du doux craquement de la neige sous les pieds. La mer de nuages jette ses vagues lentes et silencieuses sur les pentes lumineuses, les massifs et sommets lointains comme autant d’îles, formant un archipel de possible. Ah ! Qu’est-ce qu’on est bien là !

Devant, la combe menant au Pas de Berrièves, à l’ombre, a des allures de congélateur. Quelques fraîches rafales descendent des pentes, charriant la poudre fine. Le chemin monte en écharpe sur la rive droite du ravin et plus on s’enfonce vers le pas, plus le vent forcit. Les allures de congélateur deviennent réalité et l’ambiance devient polaire. Les traces de mes compagnons, à peine une centaine de mètres devant sont rapidement effacées, il est temps de sortir les mains des poches et s’équiper un peu plus. Les petits crampons sont vite enfilés, les bâtons dégainés, le zip de la veste remonté. Quelle ambiance ! Plus haut, les crêtes fument. On va être secoués aujourd’hui !

Un beau bouquetin et une remontée du couloir plus tard et nous voilà à la croix de Lorraine du Pas. Effectivement, ça tabasse bien et les vestes claquent dans le blizzard. On est obligés de feinter si on veut gagner les crêtes et on prend le Rocher de Séguret à revers. Le vent soulève des gerbes de neige et on avance courbés contre le vent. C’est la lutte ! On vacille parfois sous les coups de boutoir, le visage fouetté par les paillettes de glace. On top rapidement le sommet puis celui de Roche Rousse et on jette aux orties l’idée de redescendre par le Pas de la Posterle. L’objectif à présent est de trouver un coin à peu près à l’abri du vent qui se déchaîne pour souffler et se restaurer un peu.

Par bonheur, une profonde doline creuse le relief en contre bas de Roche Rousse et la pause au soleil dans l’air immobile est particulièrement agréable. La vue se perd vers les hauts-Plateaux encore mangés par les nuages. Au-dessus, les arabesques délicates de la neige soulevée par le vent dansent sur les pentes, formant parfois des génies élémentaires comme issus des contes et légendes. Le dépaysement est profond, la joie paisible. Le retour est léger, peuplé de chamois, d’horizons lointains. Encore une sacrée journée !