Sortie du 6 juin 2022 par Saad Grand Paradis (4061m) par le refuge Victor Emmanuel

Première expérience en haute montagne et premier 4000, avec deux de mes frères et notre guide David. Sûrement pas la dernière.

Itinéraire, carte // Fiche topo

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Conditions météo

Premier jour : ciel qui se couvre progressivement avec quelques éclaircies le jour de la montée au refuge, mais plutôt agréable.
Deuxième jour : le ciel se couvre pendant que nous montons au sommet de la Tresenta et l’orage éclate à la descente.
Troisième jour : grand bleu pour l’ascension du Grand Paradis !

Récit de la sortie

1er jour : montée au refuge V. Emmanuel II de midi à 14h, randonnée autour du refuge de 15 à 17h
2e jour : ascension de la Tresenta (3600m)
3e jour : ascension du Grand Paradis.

Lever à 3h50. Contrairement à la veille, j’ai passé une courte mais excellente nuit. Je me suis endormi rapidement vers 23h et j’ai dormi d’une traite. Mon corps commence peut être à s’acclimater. Au réveil, mon premier réflexe est d’ouvrir la fenêtre pour regarder le ciel. Les étoiles brillent, c’est bon signe.
A 4h nous descendons prendre le petit déjeuner. Même si la faim est loin d’avoir eu le temps de s’installer, nous savons que prendre des forces nous sera utile.

Le refuge est en ébullition, jamais je n’ai vu autant de personnes se lever en même temps, aussi tôt, pour aller dans la même direction. L’ambiance me plaît.

Je me sens reposé, frais, et plein d’entrain pour attaquer cette dernière journée. Elle s’annonce comme étant la plus longue, la plus difficile mais aussi la plus mémorable car nous montons à 4061m d’altitude, sommet de cette montagne italienne, le Grand Paradis. C’est une première pour mes frères et moi.

Le ventre plein et le sac sur le dos, nous sortons du refuge à 4h50 avec nos frontales allumées. L’air est frais mais nous n’avons pas froid. Il doit faire 5 degrés. En levant la tête, nous apercevons un ballet de lucioles. Plusieurs cordées nous ont devancés.

Nous commençons l’ascension en traversant de gros blocs de granit. Moins de vingt minutes plus tard, la lumière de l’aube suffit pour éclairer notre chemin. Un peu à contre cœur, nous éteignons nos frontales... J’appréhendais le fait de marcher la nuit. Finalement, c’est une chose que j’ai apprécié et je regrette un peu que le soleil se lève si vite.

Au bout d’une petite heure, peut être plus, nous faisons une pause rapide pour chausser nos crampons. J’en profite pour apprécier les couleurs pourpre du lever du jour. Je me retourne d’ailleurs régulièrement en marchant pour observer les montagnes et le ciel changer de ton.
Il fait froid et la neige est bien dure. Nous suivons donc la trace des alpinistes qui nous ont précédés depuis les dernières neiges. La pente devient plus raide mais notre rythme régulier nous permet d’avancer à bonne allure, bercés par le bruissement des crampons, notre respiration et les précieux conseils prodigués par David, notre guide.

Je suis en forme. Les deux journées précédentes ont préparé notre corps.
Mais vers 3700m, aux trois quarts de la montée, les conditions ne sont plus les mêmes. Le vent souffle fort, les doigts sont engourdis et la fatigue commence à se faire sentir. Je comprends que la moyenne montagne est derrière nous et qu’une frontière invisible nous fait pénétrer dans l’univers hostile de la haute montagne.
Il ne s’agit pas de randonner et de contempler mais de progresser, pas après pas, vers un objectif. Un objectif abstrait mais fascinant. Celui d’atteindre le sommet. Un objectif enfantin, presque ridicule. Aller voir la-haut, derrière la colline, s’élever.
Alors que Samir ne savait pas du tout à quoi s’attendre, Anass s’était sûrement un peu préparé à souffrir. Me concernant, j’ai légèrement sous estimé la difficulté et j’en prends conscience ici-même.
La joie d’être en montagne diminue. Pas grave. Je sais que le plaisir futur sera proportionnel à la difficulté actuelle. Nous le savons tous. Alors nous continuons. D’autant que David, notre guide et premier de cordée ne nous en laisse pas vraiment le choix.
La force tranquille, c’est lui. Il a confiance en nous. Si lui a confiance, comment douter ? Tergiverser serait inutile. Qu’on le veuille ou non, il nous mènera là-haut. Autant l’aider…

Et puis vient la dernière montée, près du col, avant une traversée moins verticale. L’idée que nous approchons du but nous donne la force nécessaire pour l’atteindre.
Nous marchons au soleil, juste avant de passer dans une partie ombragée. David nous arrête dans notre élan et nous demande de mettre nos doudounes. Je me sens pourtant très bien, je n’ai pas froid. Je sais qu’en montagne il ne faut pas attendre d’avoir froid pour se couvrir, mais si ça ne tenait qu’à moi, j’attendrais encore un peu. Heureusement, ça ne tient pas qu’à moi et, une fois de plus, l’expérience de David s’avère indispensable. Moi qui pensait pouvoir évoluer rapidement en autonomie en haute montagne, une fois quelques techniques de base acquises… petite désillusion, leçon d’humilité et retour à la réalité.

Avant d’arriver au sommet et après m’être exercé à l’usage du piolet, nous escaladons avec les crampons les quelques marches d’une échelle artificielle fixée dans la roche.
David et mes frères m’ont précédé.
Une fois la haut, le vide me plaque au sol. Quand je me redresse, péniblement, la beauté et la perspective du panorama sont saisissantes, impressionnantes. Des émotions intenses se mêlent, l’extase et la peur, l’envie de contempler et celle de redescendre en sécurité. Tout cela s’exprime confusément dans un cri de joie. Il est 9h37. Nous avons atteint le sommet et avalé les 1300m de dénivelé en moins de 5h.

Un peu plus loin, la statue de la vierge est solidement fixée aux rochers sommitaux. Je la regarde à peine mais m’y agrippe fortement le temps d’une photo.
Je sens que mes frères sont encore moins à l’aise que moi. Je suis dans l’instant présent, eux sont déjà à l’étape d’après. Reprenant peu à peu mes esprits, je demande naïvement le chemin à David. « Tout droit ! ». Forcément…
Il me demande de passer devant. Nous devons longer la paroi verticale avec parfois à peine 20cm de large pour poser nos pieds cramponnés. A gauche, pas de pente, rien. Le vide et des panoramas majestueux. Le relâchement fait place à la concentration et je comprends immédiatement pourquoi les alpinistes parlent de gaz lorsqu’il s’agit de vide. Nous sommes encordés mais dans nos esprits amateurs c’est une sécurité illusoire dont l’efficacité reste à prouver. J’avance comme un cul-de-jatte sur les dalles de granit lorsque c’est possible. Samir me suit et m’imite instinctivement. David s’en amuse. Il n’a sûrement pas l’habitude de voir cette « technique » d’alpinisme. Il nous demande de nous relever tout en sachant que sa remarque restera vaine. Après tout, nous avançons…Samir est pressé de s’extirper de cette situation à laquelle il n’était décidément pas préparé. Pour lui l’ascension aurait du s’arrêter un peu plus bas... Le sommet n’est qu’un détail, il n’a aucune importance. Quant à Anass, il est victime d’une crise de vertige qui l’empêche d’avancer. Ses jambes ne le portent plus, littéralement. Bloqué, il craque. David est à ses côtés mais j’ai peur que cela ne suffise pas. Pourtant, notre guide est à l’aise comme un funambule. En me retournant, je le vois prendre Anass par le bras. Il le soutient, dans tous les sens du terme. Ils avancent. Chaque pas est une victoire. L’effort d’Anass doit être surhumain. Si sortir de sa zone de confort faisait partie de ce qu’il était venu chercher ici, c’est chose faite. Je les vois ensuite traverser la partie la plus délicate, celle où j’ai un instant failli être bloqué moi aussi. Je suis soulagé, car le reste est moins engagé et le stress peut redescendre.

Comme on le fait avec ses enfants, David nous installe sur des rochers un peu plus bas, nous propose de manger quelque chose et de sortir le Thermos de thé. La vue est magnifique. Je me sens bien, content d’avoir atteint le sommet et d’avoir dépassé cette partie aérienne. J’ai envie d’immortaliser ce moment, un peu frustré de ne pas avoir pu le faire plus haut. Mais au moment de prendre quelques photos, je me rends compte que Samir n’attend qu’une chose, descendre plus bas, sur le glacier, en sécurité. Il me le fait savoir et je range donc mon téléphone.

Nous entamons la descente. Je n’ai plus froid, le vertige nous a réchauffés. Le rythme est rapide. Toujours peu de place à la contemplation. Mais contrairement à la montée, la descente nous offre un panorama à 180 degrés sur le massif des Alpes. Plein Nord, nous apercevons les montagnes suisses. Face à nous, le massif du Mont Blanc. Plus au Sud, la Vanoise et les Écrins. Splendide !

Le soleil frappe fort et la neige s’est ramollie. Comme la veille, nous nous y enfonçons parfois jusqu’aux genoux. Pour soulager nos articulations et aller un peu plus vite, nous glissons comme des enfants sur les fesses dans les pentes enneigées.
Je comprends désormais pourquoi les alpinistes commencent leurs ascensions de nuit. La neige compacte facilite la progression et le risque d’avalanche est beaucoup plus faible.

Puis, un peu avant d’arriver au refuge, nous tombons nez à nez avec un cadeau de la nature. Alors que nous longeons le lit de la rivière en direction du refuge, une famille de six bouquetins se prélasse au soleil en contre-haut. Sur les rochers faisant office de gradins, ils regardent tranquillement le spectacle des randonneurs monter et descendre. Peu farouches, ils se laissent approcher et prendre en photo.
J’en avais déjà aperçus de près l’automne dernier dans les Aiguilles Rouges, près de Chamonix. Mais il est toujours aussi beau de voir des animaux sauvages de si près. Les rencontrer dans l’immensité de leur habitat naturel parait tellement improbable. Surtout en pleine journée. Il est 12h20.

Quelques instants plus tard, nous approchons du refuge. Il est posé là, à 2732m d’altitude, entouré de montagnes, à l’abri des avalanches, comme une oasis au milieu du désert.
C’est aussi notre première expérience en refuge. Celui-ci est grand. Sa capacité est de 150 couchages en été et 40 en hiver. J’avais un peu peur que ce soit l’usine. Finalement pas du tout. Le début de saison y est sûrement pour quelque chose.
J’aime bien l’ambiance qui y règne. La terrasse en bois est grande et bien exposée. On y fait sécher ses affaires, on y mange d’excellents plats italiens, sur de longues tables en bois et l’on s’y repose au soleil en appréciant les paysages, parfois le tout en même temps. C’est un lieu de réconfort après l’effort.
L’intérieur est simple, sans fioriture. Sans que ce ne soit vraiment comparable, je m’y sens bien plus à l’aise que dans les palaces parisiens dans lesquels je déjeune parfois. Peut être parce que l’ambiance du refuge me rappelle un peu mon enfance, les centres de colo, les classes vertes, leurs grands réfectoires et le temps passé à jouer en pleine nature avant que la nuit ne tombe.
J’ai d’ailleurs le sentiment d’être déjà venu ici.
La chambre cabine et les lits superposés sur lesquels nous dormons ressemblent à s’y méprendre aux compartiments 6 couchettes des trains de nuit.
Mais ce que je préfère dans ce refuge c’est l’ambiance du soir, entre la fin du dîner et la tombée de la nuit, quand le soleil vient à peine de se coucher mais qu’il fait encore un peu jour. Les gens vont progressivement se coucher et le silence commence à régner. Dehors il ne fait pas encore trop froid, mais assez pour apprécier de porter une polaire tout en regardant les montagnes disparaître dans l’obscurité.
J’ai hâte d’aller dans d’autres refuges, juste pour retrouver les mêmes sensations. Comme les châteaux de la Loire, j’aimerais les visiter les uns après les autres, découvrir leurs singularités, leurs histoires et contempler leurs jardins de calcaire et de glace.

Nous arrivons donc au refuge Victor-Emmanuel II vers 13h, exténués mais soulagés. L’humeur est au beau fixe. Nous n’avons pas forcément très faim mais nous nous attablons avec joie. Pattes au pesto et omelettes au fromage sont au menu. Il fait beau, pas trop chaud. C’est le climat que je préfère. Le soleil peut nous caresser sans qu’on ne se mette à transpirer ou à étouffer.

Après manger, il ne reste plus qu’à récupérer nos affaires et à entamer la descente vers le parking 800 mètres plus bas. Encore un peu moins de deux heures de marche avant de rejoindre la voiture. Au total nous avons marché plus de 20h en 3 jours. Mais ces deux dernières heures vont passer vite. David est moins dans son rôle de guide et nous apprenons à mieux nous connaître. Plus qu’une rencontre avec la haute montagne, ce séjour est aussi celui d’une rencontre avec un homme, son métier, son expérience et son amour des sommets.

En descendant, le décor est plus vert et moins minéral qu’au refuge. J’aime ce mariage de couleurs caractéristique de la moyenne montagne en été. Le vert des alpages et des mélèzes, le gris/brun de la roche et, en arrière-plan, le blanc immaculé des neiges éternelles. Une œuvre d’art qui change au gré des saisons.
Nous quittons le parking avec ces paysages derrière nous, tout en dégustant une glace à la vanille offerte par David. Nous ne pouvions pas mieux terminer ce séjour !

Rassasié, il est un peu tôt pour penser à la prochaine course. Y réfléchir, se projeter et la préparer me permettra de patienter à Paris. En attendant, nous roulons sur les jolies routes en lacets de la vallée d’Aoste direction Chamonix, où nous déposerons David, avant de rejoindre Paris.

. Randonnée réalisée le 6 juin 2022

. Dernière modification : 11 novembre 2022 (Avertissements et Droits d'auteur)

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Afficher les commentaires précédents (5).
  • Bienvenue Saad sur Altituderando ! Un récit passionnant et très émouvant. La montagne comme on l’aime. Merci pour ce beau témoignage et bravo pour le sommet !

    Le 24 juin 2022 à 15h39
  • Bravo à toi Saad ! et bienvenue dans le monde de la haute montagne !

    Le 24 juin 2022 à 18h37
  • marmotton

    Très beau récit et belles photos ! merci Saad.

    Le 25 juin 2022 à 09h37
  • Bonjour Saad,

    Merci pour ce très beau récit d’ascension, récit qui décrit très bien les sensations d’un nouveau venu en haute montagne. Tu nous racontes tout cela superbement, avec des mots simples, et l’on retrouve ainsi nos propres souvenirs des débuts.
    .
    Effectivement, il y a une altitude à partir de laquelle les choses en montagne changent de difficulté. On comprend tout à fait qu’à partir de ce moment-là, il faut être plus prudent, plus attentif, et que cela n’a plus rien à voir avec ce que l’on connaissait "d’en dessous" : c’est ça la Haute-Montagne ! J’ai beaucoup aimé ta façon de raconter exactement cette situation.
    .
    J’ai aussi aimé ton récit sur le refuge. Oui l’ambiance de fin d’après-midi, de début de soirée, est magnifique, et les couleurs et le silence sont comme des privilèges dont on a envie de profiter jusqu’au bout. Je te souhaite de faire le "Tour des Châteaux de la Loire d’Altitude" ! Et tu verras comme c’est beau, partout...
    .
    A bientôt, j’espère.

    Le 25 juin 2022 à 11h06
  • Bonjour Saad, et bienvenue !
    Lorsque on lit ton récit, on voit que ça vient du cœur, c’est très émouvant !
    Un très grand bravo pour votre premier 4 000 m et j’espère que beaucoup d’autres suivront !

    Le 25 juin 2022 à 13h34
  • Très beau récit, extrêmement bien écrit et très agréable à lire.
    Beaucoup de sincérité et d’émotions, merci pour le témoignage et bienvenue !

    Le 26 juin 2022 à 00h57
  • Merci à tous pour vos commentaires ! Content que ça vous plaise et de pouvoir partager avec le plus grand nombre !

    Le 27 juin 2022 à 01h45
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