Sortie du 19 septembre 2019 par Stephilisme Traversée Tenneverge (2989m) - Ruan (3057m), par Sixt et le glacier

S'il ne devait rester qu'un itinéraire qui me faisait rêver depuis des années, cela devrait probablement être celui là. Alexandre (Randorama74) et Manu, deux de mes amis m'en ont souvent parlé comme étant une de leurs plus belles réalisations. Le créneau pour faire cette course sans trop de neige étant réduit à la fin de l'été cela fait deux ans que je guette les conditions, sans jamais trouver le bon partenaire ou la bonne fenêtre. Amaury, un copain d'école ultra-caisseux récemment installé dans le coin est botté d’emblée par le projet. Après un test "haut giffre" réussi haut la main sur la traversée Croix de Fer - Aup de Véran le week end d'avant, nous prenons un jour de congé jeudi 19 septembre pour entamer ce qui sera probablement la plus grosse bavante de notre vie. La veille au soir, la météo annonce grand soleil, le créneau semble parfait, c'est parti !

Itinéraire, carte // Fiche topo

Topo de référence

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Conditions météo

Trempé jusqu’à la croix Moccand.

Mer de Nuage entre 1800 et 2000. Grand beau au-dessus.

Récit de la sortie

22h. Le réveil est réglé à 4h du matin de manière à être à 5h30 au parking le lendemain. Je sais qu’il faut que je passe une bonne nuit de repos car demain c’est The bavante de l’année et j’aurais donc besoin d’être en grande forme.

Évidemment, comme à chaque fois que je me mets la pression pour bien dormir, je me stresse et fini par me réveiller le lendemain après 2 courtes heures de sommeil en m’étant répété toute la nuit "Dors bordel, tu as besoin de repos pour demain". Le ton est donné.

Rdv à 5h30 au parking du plan des lacs, il n’y a évidemment personne quand je retrouve Amaury et on ne voit pas les étoiles du parking alors que la météo annonce grand beau ... Bizarre mais ça se lèvera se dit-on.

Les topos de montée, de traversée et de descente ont bien été étudiés, les cartes hors ligne et la vidéo-topo de Randorama ont été téléchargées, c’est parti pour une grosse journée.

Le ruisseau est vite remonté et nous arrivons au lever du jour à la cascade de la méridienne, sous d’épais nuages. L’ambiance est d’une austérité monstre dans ce cadre déjà bien lugubre en temps normal.

Après deux trois coup-d’œils sur le topo et la vidéo, le Pas noir est vite trouvé et se passe finalement assez bien, on s’attendait à pire. La montée à croix Mocan est d’une raideur impressionnante dans de l’herbe détrempée. La sente est bonne et garantit une bonne accroche. Toutefois en regardant en arrière c’est vraiment impressionnant et avec les gros nuages ça donne tout sauf envie de redescendre par ici.

C’est une fois arrivé à la bifurcation face Ouest / Rigole que les choses se compliquent et que ça commence à sentir mauvais : nous sommes en pleine mer de nuage, on ne voit pas à 10 mètres et on a au bas mot 1h30 de traversée à plat sur des vires merdiques avant d’atteindre le vallon de Tenneverge.

La vire est située entre des barres rocheuses (c’est la définition d’une vire me direz vous), mais contrairement à ce que j’ai déjà fait, elle est très large et s’étend sur peut-être 100 ou 200m de dénivelé, ce qui rend d’autant plus dur de trouver le bon passage tout en sachant qu’on est à la base dans quelque chose de pas simple.

On monte, on descend sur cette vire et on avance à tâtons en se perdant à plusieurs reprises et en passant dans des endroits des plus scabreux. Je tombe une première fois et chute sur un ou deux mètres. Plus de peur que de mal, je n’ai rien physiquement mais le mental commence à être entamé, la mauvaise nuit de la veille, les mauvaises conditions ambiantes et la chute font monter mon taux d’adrénaline comme rarement.

Nous recourons à plusieurs reprises à la vidéo de Randorama et aux cartes hors ligne pour nous tirer de là tant bien que mal ... (merci Alex si tu me lis !)
L’arbre qui marque la fin de la vire apparaît au bout de 2h30 comme un signe salvateur et on pousse de grands cris de délivrance avec Amaury car ce dernier est censé symboliser la fin des premières difficultés.

Et pourtant, nous sommes toujours dans les nuages, nous n’y voyons toujours pas à 10 mètres et nous commettons l’erreur de vouloir gagner rapidement du dénivelé pour passer au-dessus de la mer de nuages, alors qu’il nous aurait fallu continuer à plat pendant encore une bonne demi-heure .

Nous nous retrouvons finalement dans des zones rocheuses malcommodes 200m au-dessus du fond du vallon où passe l’itinéraire et essayons de traverser au mieux . Erreur ! Je tombe une seconde fois, plus lourdement cette fois-ci et chute sur 6 ou 7 mètres alors que des barres se situent 50 mètres en contrebas. Cette fois ci, j’ai mal au genou et à la hanche et commence vraiment à flipper. Le brouillard se dissipe mais nous sommes encore dans la mer de nuages, impossible de compter sur les secours, il va falloir se débrouiller par nous même.

On fait donc marche arrière et décidons de perdre les 200m que nous avions gagnés pour tout reprendre depuis le fond du vallon. Nous avons perdu beaucoup de temps depuis Croix Mocan et l’énergie commence déjà à manquer alors que nous avons fait peut-être 1/4 de l’itinéraire. Heureusement en progressant dans le vallon nous gagnons doucement du dénivelé et passons subitement au-dessus des nuages. Nous apercevons alors le ciel pour la première fois depuis le parking. Il est bleu, pas un nuage en altitude et le soleil vient nous illuminer et nous apporter sa chaleur, je crois que je n’en avais jamais eu autant besoin.
Le vallon de Tenneverge est magnifique, sauvage mais surtout interminable !

Quand nous arrivons au col, il est 12h30 et je suis littéralement à bout de force. Le temps de manger et de reprendre notre souffle il est 13h et il faut maintenant prendre une décision : il semble déraisonnable de continuer vers le sommet du Tenneverge et le Ruan compte tenu de l’heure et de mes forces. Il nous faudrait encore un minimum de 9h en temps normal pour finir la boucle, ce qui nous ferait finir de nuit alors que la mer de nuage est toujours là, que la traversée demande de l’attention et des manips de corde, et que je n’avance plus qu’au mental.

Faire marche arrière serait synonyme de retraverser les vires et la rigole dans le brouillard puis descendre les raides pentes humides de la Croix Mocan : trop risqué.

Nous prenons la seule décision qui nous semble raisonnable, redescendre par la voie normale du Tenneverge côté Emosson même si cela nous amènera à 100km de route de la voiture, tant pis on a pas le choix !

Énième erreur, nous n’avions pas bosser le topo de la voie normale du Tenneverge et descendons bille en tête de l’autre côté du col de Tenneverge ... Ce n’est que 300m sous le col, au milieu d’une face raide, peu engageante et suspendue au-dessus de barres rocheuses, que nous nous rendons compte de notre erreur : nous ne sommes clairement pas au bon endroit. Heureusement, j’ai du réseau et arrive à trouver l’itinéraire en ligne du topo de la voie normale : du col du Tenneverge, il fallait remonter au sud pour en direction du glacier de la Finive.

Et c’est reparti, nous remontons 300m jusqu’au col et traversons dans une longue et douce montée vers le sud pour atteindre le point Vers l’Homme. Il est alors 15h30 environ et le soleil aidant, j’ai curieusement retrouvé un peu de forces.

S’ensuit une longue descente par la voie normale jusqu’au bord du lac d’Emosson, où nous prenons soin de nous perdre encore à une ou deux reprises mais sans gros impacts timing cette fois ci. Il est alors 17h30 quand nous rejoignons le bord du lac d’Emosson, cela fait alors 12h que nous sommes parti du parking ...

Si le vallon de Tenneverge me paraissait interminable, le bord du lac d’Emosson n’est pas mal non plus dans son genre ... Nous pressons le pas dans le but d’arriver au parking du lac pour trouver une voiture qui voudra bien nous prendre en stop avant que tout le monde ne soit redescendu .

Et là, les astres décident de s’aligner pour conclure cette journée compliquée en nous donnant un coup de pouce : nous rencontrons au bord du lac un couple de retraité qui se demande d’où nous pouvons venir avec tout notre attirail. C’est donc avec plaisir que nous leur racontons nos péripéties et, pris de compassion, ces derniers décident de nous amener jusqu’à Chamonix, où ils résident pour la semaine.

Arrivé au parking, les nerfs se relâchent et toute la fatigue accumulée ces 13 dernières heures me tombe dessus. Bilan, je m’endors à peine 30 secondes après être entré dans la voiture de nos bien aimés retraités et quand je me réveille nous sommes à ... Cluses !

Amaury a été plus courageux que moi et a tellement discuté avec le couple que ces derniers ont décidé de nous filer un coup de main supplémentaire en nous faisant l’aller retour jusqu’à Cluses au lieu de nous laisser à Chamonix !

Sitôt sorti de la voiture nous avons à peine le temps de tendre le pouce que la première voiture venue s’arrête et nous emmène à Samoens.

A Samoens, la nuit commence à tomber et nous attendons 10 minutes au bord de la route, pouce levé avant qu’une dernière voiture nous prenne en stop jusqu’à Sixt. Épaté par la grosse journée que nous avons eu et par les 2h de stop que nous venons de faire, le chauffeur décide également de nous filer un dernier coup de pouce et de faire le détour par le parking de Plan Les Lacs, pour nous éviter de marcher encore 6km de nuit. Que les gens peuvent être gentils quand on sort d’une sale journée !

Nous mettons finalement 2h15 pour faire barrage d’Emosson - Plans les lacs en stop alors que Google annonce 2h en temps normal, enfin quelque chose où nous aurons été bon aujourd’hui !!!

Dégoûté par le schiste les 5 jours suivants la rando en me jurant que jamais plus je ne foutrai les pieds dans une merde pareille, je n’ai maintenant, à l’heure où j’écris ma sortie (mars 2020), plus qu’une seule envie : y retourner !

. Randonnée réalisée le 19 septembre 2019

. Dernière modification : 30 mars 2020 (Avertissements et Droits d'auteur)

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  • Ah ! c’est gentil de nous mettre un compte-rendu qui nous fait apprécier notre canapé !

    Ça m’est d’autant plus facile que pour une fois c’est une destination qui ne me fait pas du tout envie : chaque fois que je l’ai vu, le Tenneverge m’a fait l’effet d’un sommet sinistre et rebutant. Drôlement graphique (en tous cas côté Fer à Cheval), mais rebutant.

    Donc une sortie qui me vaut le double plaisir du dépaysement et celui de voir que les autres aussi font des erreurs 🙂 Merci !

    Le 29 mars 2020 à 17h23
  • Content d’avoir pu t’aider un minimum. C’est vrai que si la météo s’y met, ça devient vite un traquenard là-haut.
    Pour nous, avec conditions idéales, on avait déjà terminé tard (20h). Alors si effectivement on prend du retard y a plus tant de marge que ça.
    Bravo pour le renoncement, c’est pas toujours facile à prendre comme décision.

    Le 29 mars 2020 à 17h37
  • PS. Je viens de voir la comparaison Obiou - Tenneverge sur la sortie Obiou et je m’insurge 🙂 Là où le calcaire de l’Obiou a la teinte crème et mordorée d’un toast délicatement grillé, le schiste du Tenneverge est noir comme une tartine oubliée sous la flamme.

    (ça serait pas l’heure du goûter ?)

    A y réfléchir la comparaison vaut d’ailleurs aussi pour la texture des deux roches : le calcaire dévoluard s’émiette franchement alors que le schiste gorgé d’eau vous fond presque dans la main (ok, dans les deux cas il y a ce qu’il faut pour se casser la figure)

    Le 29 mars 2020 à 17h42
  • 🤣

    Le 29 mars 2020 à 17h48
  • Quelle épopée ! Je vois que la galère a le même goût partout...lol !

    Le 29 mars 2020 à 22h00
  • Quelqu’un a-t-il déjà envisagé la traversée des alpages du Prazon ?

    Donc : Pas Noir, montée plus ou moins jusqu’à La Croix Moccand, puis on part en traversée à gauche le long les alpages jusqu’au Bout du Monde. On s’en échappe par une rampe permettant de monter au glacier du Ruan, et de là le col de Sageroux.

    La partie la plus délicate semble être le début de la traversée (raide), et éventuellement plus loin les ravines des torrents (et les torrents eux-mêmes, selon leur débit).

    Ça voit être possible (étant donné que dans les temps anciens on emmenait les moutons y brouter), mais je ne trouve aucune doc là-dessus !

    Le 30 mars 2020 à 15h20
  • @Pascal, je te conseille de te rapprocher de meije23 sur camptocamp alias Roland Mougel sur Facebook qui a 72 ans, qui parcours le haut giffre depuis plus de 50 ans et qui est une vraie bible sur le sujet.

    Je sais que @Randorama74 a de bons topos du CAS des années 60, peut être que quelque chose est mentionné dedans ?

    Le 30 mars 2020 à 15h46
  • Chuuuuut !
    Pascal j’ai effectivement une vieille version dans laquelle cela doit figurer (juste mentionné dans la dernière version du guide). Je vais vérifier ce soir.
    J’ai pensé y aller, sans forcément finir au Ruan, mais histoire de visiter ces fameuses vires.

    Le 30 mars 2020 à 17h03
  • Qui pourrait imaginer que traverser un alpage à même pas 1800m d’altitude puisse être une telle aventure... Mais, le Haut-Giffre, c’est ça !

    Le 31 mars 2020 à 00h21
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