Sortie du 21 août 2020 par CourtePatte Cime du Pied de Barry (2637m) et Petit Roux (3034m) par Lanchâtra

La Cime du Pied de Barry est un classique déjà pas tout-à-fait trivial. Ajoutez le Petit Roux et la sortie devient une aventure. Posez là-dessus une nuit entre les étoiles et les montagnes, et cela devient magique.

Itinéraire, carte // Fiche topo

Topo de référence

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Conditions météo

Grand beau, sauf une bouffée de brouillard et de pluie au petit matin du 22/08

Récit de la sortie

Cela fait déjà longtemps que la Cime du Pied de Barry figure à la liste de mes convoitises. Alors, quand le topo sur le Petit Roux est sorti l’année dernière il a tout de suite retenu mon attention.

Ce topo associe en effet la rando, disons sportive, à une petite ascension (un gros 350m de D+) un cran plus audacieuse. Ça ne peut pas mieux tomber : pour moi qui aime mettre les mains mais souffre de la peur du vide, ce sommet semble l’occasion idéale pour un premier contact avec les arêtes rocheuses. En tous cas c’est l’impression que ça donne...depuis mon salon. Et là où l’itinéraire est génial, c’est que si je me dégonfle au pied du sommet, je me serai déjà régalée avec la Cime du Pied de Barry.

Et pour simplifier la logistique, je vais faire ça en bivouac. Le sac va être bien lourd, parce que j’emporte 4 litres d’eau, mais j’ai la ferme intention de laisser le plus gros du chargement au pied du Petit Roux pour l’ascension finale.

Il va assez vite me poser quelques difficultés ce sac. Je savais que j’allais rencontrer quelques passages câblés en chemin ; mais je n’avais pas compté, avant cela, sur deux ou trois passages non sécurisés plus ou moins étroits, où il faut s’accrocher à la roche en bordure du vide. Rien d’insurmontable, mais je ne peux m’empêcher de penser "Hmm ! Si ça me paraît déjà délicat ici, que vais-je trouver plus haut ?" et "J’aimerais autant ne pas avoir à redescendre par-là..."

C’est la première fois de l’année que je vais dans les Ecrins, et la première fois tout court que je vois le Vallon de Lanchâtra, qui se découvre au fur et à mesure que le sentier s’élève. Avec son large cirque festonné de glaciers, l’incision argentée de son torrent entre le velours des pentes gazonnées, c’est un paysage pour affiche publicitaire des années 1900.

Il n’y a pas que le Vallon : depuis le début, j’ai dans mon dos une vue toujours plus glorieuse sur l’impressionnante muraille sud du domaine des Deux Alpes et l’Aiguille du Plat de la Selle, avec, tout en bas, le fil cobalt du Vénéon toujours plus mince. Derrière l’Aiguille du Plat de la Selle voilà qu’est apparu tout un pays suspendu de glaciers et de sommets, qui doit être le fond du Vallon de la Selle.

Mais voilà que je commence à bien voir la suite du programme : cette fameuse échine de la crête entre le col de la Coche et la Cime du Pied de Barry. Son versant est, partiellement dénudé, laisse apparaître un énorme pan de schiste argenté qui luit sous le soleil de midi. C’est là-haut que se situe le passage le plus célèbre de cette crête, une portion étroite où la pente fuit de chaque côté plusieurs centaines de mètres plus bas ; il ne faudrait pas y marcher sur son lacet mais par temps sec le terrain est stable.

Pendant que je progressais sur la crête l’horizon s’est encore élargi. Le temps que j’arrive à la Cime du Pied de Barry c’est tout un diorama des Ecrins qui se dessine maintenant derrière l’Aiguille du Plat de la Selle. Mais il est temps pour moi de porter le regard dans l’autre direction, et d’envisager ce Petit Roux.

Maintenant que je le vois "en vrai" et non plus depuis mon salon, j’ai un moment d’appréhension. La partie sommitale, c’est une chose ; mais plus bas, les ressauts de l’arête, brrr. C’est tout hérissé et pointu ce machin-là : est-ce bien un parcours pour randonneuse moyenne ? Mais je sais que pour bien en juger il faut s’en approcher ; la photo du topo qui donne le cheminement, et qui vaut de l’or (photo 40 du topo de référence), indique clairement que ces ressauts je ne vais pas les prendre sur le fil. J’en ai encore un peu sous le pied, surtout avec le sac allégé. Bref ! on y va. Il sera toujours temps de faire demi-tour sans fausse honte.

Et tout cela est vrai. Une fois au pied de l’arête il y a des contournements, des rampes ; il y a aussi, de loin en loin, quelques cairns qui me confortent régulièrement dans mes choix. Je prends un tas de photos pour m’aider éventuellement au retour, et je progresse.

Il y a aussi LA surprise botanique du jour. Depuis le temps que j’attendais ça : mes premiers pieds de génépi ! Génépi laineux me semble-t-il, mais je manque de recul sur le sujet. En tous cas je suis absolument enchantée : c’était la dernière plante célébrissime des Alpes qui manquait à mon tableau de chasse. En fait, si je devais faire demi-tour maintenant je classerais quand même l’ascension comme un succès.

Car il y a un risque de devoir faire demi-tour. Il ne m’a pas échappé que le parcours comportait un "crux" : c’est ce fameux petit mur de quelques mètres décrit par le topo. D’ailleurs m’y voilà (photo) :

Alors là. Le topo recommande "à escalader...plutôt par la gauche". Je regarde sur la gauche, et je suis instantanément rebutée. La roche est oxydée, fracturée ; la seule approche du passage va nécessiter de négocier un terrain effrité et roulant, bref j’ai autant envie de me lancer là-dedans que de me casser une jambe. Sans parler de la redescente. Bon, mais alors ? Fin de l’aventure ?

Je regarde les alentours et il me semble parfaitement possible de contourner l’obstacle : il suffit de descendre un peu l’abominable lit de débris rougeâtres, de le traverser et de reprendre pied sur les saillies rocheuses du flanc de l’arête (photos ici et ). Et ça passe comme à la parade, tant pis si j’ai un peu l’impression d’avoir triché, maintenant je veux mon sommet non mais oh.

La suite n’est pas compliquée. Comme le recommande le topo, je remonte en rive droite orographique du névé, en visant les parties les plus rocheuses près de l’arête afin d’éviter les portions les plus instables. Malgré l’altitude on trouve encore, blotties entre les roches, de ces petites poches végétales que j’appelle les "micro-jardins alpins" où cohabitent trois ou quatre espèces de plantes différentes. Improbables oasis minuscules au milieu de cet enchevêtrement minéral.

Et c’est le sommet. Ah non tiens, ce n’est pas peut-être le sommet. Ici il y a un gros cairn ; mais quelques mètres plus loin, une croix. Le vrai sommet ce doit être la croix ; d’ailleurs c’est le point d’où l’on aura la meilleure vue sur la Roche de la Muzelle. Sauf qu’entre moi et cette croix il y a un mètre ou deux de "vraie" arête, un truc effilé avec du vide. Horreur. Je ne peux pas y aller...Mais c’est trop bête. Et puis à bien y regarder, en me collant bien à la roche...Passée. Alors cette croix toute simple, deux bêtes bouts de bois, elle ne serait pas plus belle pour moi s’il y flottait des oriflammes.

Je profite de la vue mais sans m’attarder : je voudrais bien être de retour au bivouac pour le coucher du soleil, et j’ignore combien de temps va prendre la redescente. D’ailleurs ce n’est pas tant la vue sur la Roche de la Muzelle qui justifie l’ascension, à mon avis - on en profite dés la Cime du Pied de Barry - que celle sur le cirque glaciaire du fond du Vallon de Lanchâtra.

La redescente se passe beaucoup plus vite et plus facilement que je n’aurais pu m’y attendre. Je peux me permettre de flâner au-dessus de la Cime pour profiter du crépuscule avant d’installer mes quartiers pour la nuit.

Au petit matin, c’est une autre histoire. Meteoblue annonçait que la perturbation qui devait aborder les Alpes ce samedi allait provoquer un ennuagement progressif, avec un risque d’ondée à partir de midi. Du coup j’ai l’intention de décamper rapidement : ces prévisions ne sont pas 100% stables et je ne voudrais pas me retrouver dans les pentes raides sous la Cime, que je ne connais pas, dans la pluie ou le brouillard.

Ce que je vois à l’aube conforte les prédictions. A l’ouest il n’arrive rien de bon ; et la plupart des sommets des Ecrins sont ensevelis dans une taie de nuages. "Tant mieux", me dis-je, "je ne serai pas distraite par le spectacle du lever de soleil". C’est au moment où je retire le café du réchaud que je me retourne et...la tasse manque m’échapper des mains.

C’est qu’au-dessus de la Meije, pendant que je ne regardais pas, s’est développé un véritable spectacle pyrotechnique. Le soleil levant vient d’enflammer la couche nuageuse au-dessus de l’horizon, et projette l’ombre des crêtes sur ces draperies dorées. Tant pis pour le café chaud, je m’empare de l’appareil photo et je mitraille comme une maniaque dans l’espoir qu’au moins l’une des images ne sera pas trop minable. Et puisque j’y suis, quelques vues des sommets alentour caressés par les rares rayons que filtrent les nuages. Et puis, vite, vite, lever le camp.

Ce n’est pas à cause de la Meije que je vais passer un sale quart d’heure à la redescente. C’est parce que distraitement, je redescends trop bas sous la Cime du Pied de Barry et je rate le passage cairné que j’avais pourtant repéré la veille. Le temps que je comprenne la bévue j’ai perdu plus de 150m...et pendant que je les remonte en fulminant le ciel s’obscurcit, le brouillard qui montait des vallées comme la vapeur d’une casserole se referme sur moi, et horreur : voilà des gouttes qui tombent. Ce n’est pas une véritable averse, et ça ne dure pas très longtemps, mais lorsque je m’engage sous la Cime le terrain est mouillé et l’on n’y voit pas à plus de quinze mètres. Bien sûr il n’y a plus de cairn en vue ; je fais quelques mètres sur ce qui semble être une sente puis je m’arrête. Il me semble que la suite du terrain plonge dans le vide, si c’est par là il me faut impérativement plus de visibilité. Il me trotte dans la tête, comme une ritournelle ironique, le petit conseil de la plupart des topos "Ne pas s’engager par temps de pluie, ou de brouillard", et je n’ai qu’une trouille : que le temps soit désormais bouché pour la journée.

Je commence déjà à numéroter mes différentes options lorsque miraculeusement, le brouillard s’éclaircit suffisamment pour que je puisse distinguer la grande croupe herbeuse de Chapeau Roux. J’ai bien fait de ne pas persévérer dans ma "sente", qui ne menait effectivement nulle part. Lorsque le brouillard se referme je tiens mon cap. Et je n’aurai pas descendu quinze mètres dans la bonne direction que le nuage se dilue et finit bientôt par se dissiper. Incidemment, ce sera le seul épisode nuageux rencontré pendant cette journée où je souffrirai plutôt de la chaleur - quelques heures plus tard le souvenir de cet épisode m’apparaîtra comme presque onirique !

Il me faudra encore braver le troupeau de moutons qui s’égaie autour du ruisseau de Chapeau Roux. J’appréhendais les patous, mais ils sont de bien bonne composition et viennent me dire bonjour sans un cri ; le berger d’Anatolie qui ferme la marche est au contraire une grande gueule, mais il ne détecte ma présence qu’alors que je suis déjà éloignée, et n’insiste pas.

Le reste de la redescente vers le Bourg d’Arud au fil du bouillonnant torrent de Villeneuve est sans histoire. Je croise une véritable procession de randonneurs, le contraste avec la journée de la veille ne pourrait pas être plus saisissant. Au revoir Petit Roux ! le moment est venu de retourner parmi les hommes.

. Randonnée réalisée le 21 août 2020

. Dernière modification : 24 août 2020 (Avertissements et Droits d'auteur)

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Afficher les commentaires précédents (10).
  • Très très beau récit, superbes photos ! Et pour le "crux", m’est avis que c’est vous qui avez raison !
    Bravo !
    Petite précision pour ceux que la présence de génépi intéresse : cueillette évidemment interdite à cet endroit (c’est le Parc National).
    Marcadau

    Le 24 août 2020 à 20h06
  • Magnifique en tout point, merci !

    Le 24 août 2020 à 20h51
  • Merci à tous les deux pour vos retours. Pour le "crux", sur C2C ils parlaient aussi d’un pas d’escalade donc ça doit sûrement se faire comme ça pour les "bons". Mais s’il y a une solution de facilité on peut me faire confiance pour la trouver 🙂

    Le 24 août 2020 à 21h40
  • Récit passionnant ! J’aime beaucoup ton humour et ta façon de voir les choses.
    Et les photos sont superbes...

    Le 24 août 2020 à 21h44
  • Les commentaires élogieux pleuvent car ce topo, en tout cas pour moi, avait fait un sacré effet en sortant car oui "il a de la gueule" ce Petit Roux. Bravo pour cette longue et alpine ascension. J’avais jusque là simplement regardé les photos de tes sorties en Dévoluy et je découvre seulement que tu écris de longs récits immersifs avec un ton qui me parle bien. J’en ai lu quelques uns du coup ; sans m’arrêter, j’aurais peut-être fini dans une semaine. Bon, c’est un peu l’hôpital qui se fout de la charité si jamais tu vas regarder du côté des miens aussi... super sortie, photos et texte, merci !

    Le 24 août 2020 à 22h12
  • "l’hôpital qui se fout de la charité". Mdr. Oui j’ai déjà lu certains des tiens, avec plaisir mais non sans souvent une note de désespoir : "pas mon niveau". J’ai encore en tête celui sur le Grand Armet qui m’a d’autant plus marquée que cette ascension j’avais bien failli l’entreprendre après une lecture optimiste du topo de Sombardier, et seul le brouillard m’en avait dissuadée. A la lecture de ton topo j’ai eu des frissons rétrospectifs !

    Le 24 août 2020 à 22h46
  • Pour mon topo du Grand Armet, il y a peut-être un peu trop d’inquiétude qui transpire car je me suis planté et n’ai pas pris le passage clé... n’importe quoi ! Ceci étant dit, ce dernier reste je pense engagé avec un petit pas de 3 en opposition et de raides gradins aériens pour gagner le couloir supérieur.
    Des fois, il y a des itinéraires qui s’ouvrent alors qu’on pensait qu’ils étaient trop fous quelques sorties avant mais bon, on se connait surtout d’abord nous-même hein. Bonnes aventures !

    Le 24 août 2020 à 23h25
  • Randonneuses moyenne... mouai... en tout cas c’est beau. Pas pour moi (il y a tellement d’autres sommets moins engagés même si peut-être plus difficile) mais j’avoue que c’est beau et qu’il y a 20 ans... bref.

    Pour le genepo, impossible de se tromper tant l’odeur te l’indique. En général on le sent avant même de le voir ! Par contre, il faut savoir lequel c’est.... Genepi laineux. Cueillette interdite dans les Hautes Alpes, parc des Ecrins ou pas... (dans l’Isère je ne sais pas). G. jaune, cueillette limitée hors parc bien sûr. G. noir ??

    Le 25 août 2020 à 07h46
  • Pour le Grand Armet, rappelons que l’itinéraire par le col de Comboursière est une ascension très peu fréquentée au point que la sente derrière la cabane demanderait presque un guide Sioux, que l’on peut dormir dans la cabane, que les endroits pour bivouaquer sont nombreux. L’ascension est sauvage au possible avec une arête entre "ciel et terre" et s’il faut parfois poser les mains, ce n’est jamais de l’escalade. C’est bien moins engagé que l’itinéraire suivi par Rémi.

    Le 26 août 2020 à 08h19
  • Merci pour la suggestion. En fait j’en sais déjà quelque chose...Le jour où j’avais renoncé à l’ascension "sombardière" je me suis rabattue sur la traversée Plancol - Col de Combe Oursière - descente via la cabane. Et j’ai beaucoup aimé la sauvagerie de l’itinéraire en effet . Mais hélas, au col de Combe Oursière je n’avais pas tenté l’arête car non seulement le faux départ du matin m’avait fait perdre beaucoup de temps, mais il soufflait un vent assez impressionnant. Bref je me suis dégonflée - ou la prudence a prévalu, selon les points de vue 🙂

    Le 26 août 2020 à 11h43
  • Je suis sur ce site depuis peu, mais ce n’est pas le premier de tes récits que je lis, je suis fan de ta façon d’écrire, c’est à la fois précis et drôle. Bravo. L’épisode du brouillard est excellent, on a l’impression de le vivre avec toi !

    Le 21 septembre 2020 à 17h46
  • Chouette moment passé a te lire et la photo sur la Meije est sublime !
    Merci !

    Le 16 février 2023 à 21h51
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