Sortie du 3 septembre 2023 par gegers Le Taillefer (2857m) par le lac de l’Émay

Ode aux framboises du Taillefer

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Récit de la sortie

Si quelqu’un a l’incongruité de vous affirmer, sans sourciller, que la téléportation n’existe pas, riez-lui au nez, gaussez vous face à tant d’ignorance. Car le déplacement instantané d’un lieu vers un autre n’est pas que ce concept irréaliste inventé par les écrivains de science-fiction, il existe.

J’en ai fait l’expérience pas plus tard que ce jour. Alors que je débutais l’ascension de l’imposant Taillefer, dont les 2857 mètres d’altitude ne décrivent rien des pierriers rougis par le fer, des arêtes exigeantes et des plateaux enchanteurs qui l’entourent, et tandis que le moteur de mes pas se mettait en route, encore emmitouflé dans un silence matinal porteur d’une solennité poétique, la saveur sur la langue de quelques framboises sauvages glanées dans les imposants arbustes légèrement épineux sagement rangés de part et d’autre du sentier m’expédia sans crier gare dans le jardin potager de mes grands-parents, à 350 km de là.

Il régnait dans ce jardin un ordre permanent qui trahissait le dévouement méticuleux de mon grand père. Dans ces carrés à la géométrie parfaite, carottes et pommes de terre étaient semées au cordeau, salades et navets, sur leur lit d’engrais naturels, ne souffraient de la présence d’aucune herbe dite mauvaise qui, profitant de la pluie ou de l’arrosage soigneux de mon aïeul, auraient pu pousser à leurs côtés.

L’eau d’ailleurs, était ici une ressource dont la disponibilité n’était pas à prendre à la légère. Au faîte du potager, assommé par la chaleur d’août, trônait un lavoir couvert qui permettait de stocker le précieux liquide. Celui-ci rechignait néanmoins à se remplir. Son toit en ciment, malmené par le temps, était incliné de telle manière que l’eau de pluie ruisselait vers l’extérieur au lieu de se concentrer vers cette gouttière qui alimentait l’ouvrage qui n’avait pas vu depuis longtemps de lessiveuse. Mon grand-père, habitué à l’effort, ne comptait pas ses allers-retours pour aller remplir son arrosoir à la source cimentée pour déverser son contenu sur ses plantations assoiffées.

L’agrément n’était pas en reste. Pensées et autres petites fleurs multicolores étaient les bienvenues dans cet ensemble bigarré ou fraisiers et framboisiers avaient également établi leurs quartiers. Tout l’été durant, les arbustes précoces, tardifs ou remontants voyaient leurs précieuses baies mûrir et rougir, offrant aux gourmands visiteurs le fruit de leur sacerdoce. Mes grands-parents les surveillaient et les entretenaient avec attention. Une année sans fruit, et voici que “pépé” profitait de la morte saison pour les planter dans un autre carré du jardin, espérait-il plus profitable, et les recouvrait de légers filets qui clouaient le bec aux oiseaux opportunistes qui auraient bien fait un festin de ces délectables drupes.

Lorsque les braves framboisiers donnaient à plein, ma grand-mère transformait leurs vertus en glaces, gelées, sirops, tout en laissant suffisamment de fruits sur les arbustes pour donner aux gloutons l’occasion de les cueillir eux-mêmes. Le plaisir de décrocher une framboise mûre de son petit cône, vérifier qu’aucune fourmi ne se cachât à l’intérieur, de sentir sur la langue cette saveur à la fois ferme et fondante, légèrement sucrée, appartient à cette famille de souvenirs qui ne sauraient souffrir d’aucun oubli.

Les framboises du Taillefer ont ce pouvoir de téléporter celui qui les goûte au royaume des bonheurs simples autant que profonds de l’enfance. Toutes les joies qui ont succédé à ces plaisirs fondateurs complètent mais ne remplacent pas ces délices essentiels. La solitude minérale une fois le sommet du Taillefer atteint, la vue plongeante sur le plateau des lacs, la splendeur sauvage de la Combe de l’Emay, dans lequel un petit lac, enchâssé sous des pentes rocheuses, s’excuserait presque d’être là, l’observation joyeuse de quelques marmottes curieuses dans la fraîcheur du jour naissant, le déjeuner contemplatif aux abords du Lac de la Courbe, encore en eau bien qu’il ne soit alimenté que par la fonte des neiges, les déambulations au milieu des myrtilliers dont la saison semble bel et bien passée, la descente, enfin, au milieu des hautes herbes jaunies de la Crête de Brouffier dont les douces pentes semblent filer vers l’infini, tout cela n’est qu’une énumération de joies durables qui n’effacent en rien le goût, à la fois si important et anodin, d’une petite framboise sauvage qui danse sur la langue et caresse le palais.

. Randonnée réalisée le 3 septembre 2023

. Dernière modification : 3 septembre 2023 (Avertissements et Droits d'auteur)

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  • Très joli texte, ô combien parlant !
    Les marmottes sont superbes (ça change des bouquetins ! héhé !) et les autres photos aussi....

    Le 3 septembre 2023 à 21h45
  • Quel superbe texte mon cher Guillaume. On sent une émotion certaine quand tu parles de tes grands parents et de tes souvenirs d’enfance. C’est beau. Merci de nous les faire partager.

    Le 3 septembre 2023 à 22h31
  • à chacun sa madeleine...

    Le 4 septembre 2023 à 09h09
  • Bonjour gegers,
    Tu m’as régalé avec ce si joli texte, évocateur des souvenirs d’enfance...
    Je t’en remercie du fond du cœur car il n’est pas si fréquent d’avoir les yeux qui perlent lors d’une lecture... Et que - quand cela arrive - c’est vraiment bon !
    .
    La montagne, en solitaire, est l’une des façons, magnifique, d’arriver à cette téléportation dont tu nous parles. Le rythme régulier des pas, la luminosité du ciel, ou bien le couvert douillet d’une forêt, sont propices à lâcher l’esprit dans des vagabondages lointains. Je connais cela, aussi, et en profite autant que possible.
    .
    J’aimerais beaucoup que mon petit-fils, aujourd’hui âgé de bientôt 5 ans, puisse garder, de ces moments que nous passons ensemble, la même force de souvenirs que celle que tu viens de nous décrire. Le grand-père, le pépé, le papi, doit pouvoir - s’il sait s’y prendre - sculpter de telles choses...
    Merci.
    .
    Bonjour Vince,
    Si jamais la "collection" venait à exister, un jour, je ne doute pas que tu l’y inclurais, ce texte !

    Le 4 septembre 2023 à 11h08
  • Magnifique, et ce texte poétique trop émouvant !
    Ça fait partie de ce que j’apprécie sur Altitude Rando.

    Le 6 septembre 2023 à 08h26
  • Très belle sortie, très belles photos et texte magnifique. Bravo !

    Le 10 septembre 2023 à 15h24
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